The Upsetter / VA. - Trojan TTL 13, 1969 [rééd. Trojan TTL 13, 1995].

The Upsetter - VA

the upsetter trojan"De temps à autre arrive un homme qui a du talent non seulement dans un domaine, mais dans plusieurs. Lee Perry est ce type d'homme. Chanteur, producteur et songwritter. Cet album est une vitrine pour ce qu'il essaie de dire avec sa musique. Défiant les conventions à maintes reprises, Lee Perry a donné le ton musical en Jamaïque et une fois de plus, il arrive avec de nouveaux sons et danses sur cet album... The Upsetter". Ces quelques lignes placées au dos de la pochette de l'album qui sera notre sujet du jour, offrent un cadre parfait à la chronique qui suit puisque, soyons réalistes, je n'ai absolument pas l'intention ni le courage de retracer la vie et l'oeuvre de Lee "Scratch" Perry, ce qui de toute manière irait bien au-delà des sons dont on essaie de parler ici, et quand bien même je ne fais que reprendre des infos lues et recoupées ici et là. Mais allons-y direct, pas question de me justifier, au risque de... M'énerver! Ca y est, on entre en plein dans le vif du sujet...


Rainford Hugh Perry à l'état civil, Lee Perry est né en 1936 et arrive à Kingston dans les années 50 après s'être fait remarquer aux dominos et en matière de danse, activités dans lesquelles il excellait avant de travailler un temps dans les travaux publics. Dans la capitale, il traîne dans les sounds-systems et intègre rapidement celui de Clement Coxsone Dodd comme homme à tout faire. Son objectif est alors déjà tracé : il veut chanter. Malgré l'amitié et un parcours qui le lient jusqu'en 1966 au boss de Studio One, avec lequel il connaît les débuts du mythique label, dès 1962, peu de chances lui sont données de tracer sa propre voix sur le sillon, et ce même si Dodd semble lui reconnaître pas mal de qualités artistiques puisqu'il participe activement aux auditions de nombre d'artistes, tout comme à leurs enregistrements quand le patron doit honorer les obligations inhérentes au métier de producteur. Mais comme la persévérance paie toujours, il réussit néanmoins à enregistrer quelques Ska dès 1963, seul ou accompagné des Soulettes, avec un certain nombre de titres qui annoncent déjà la suite, que ce soit par leur virulence face à la concurrence -Prince And The Dukelee perry prince and the duke rolando & powie, Mad Headlee perry mad head rolando and powie, 1963-, par leur légèreté -Man And Wifelee perry man and wife rolando and powie, 1963 ; Rub And Squeezelee perry and the soulettes rub and squeeze island, Doctor Dicklee perry doctor dick studio one, 1965- ou encore leur clin d'oeil au cinéma -Pussy Galorelee perry pussy galore studio one en 1965 et sa référence à Goldfingergoldfinger-. C'est d'ailleurs un morceau de cette époque qui lui vaut son surnom, Chicken Scratch. Courant 1966, lassé par le manque de reconnaissance de Sir Coxsone, il met les voiles et part chez son ancien coéquipier, Prince Buster, pour lequel il enregistre quelques titres, avant de fréquenter assidûment le studio WIRL et la clique de producteurs en devenir qui y enregistrent. Là, il commet une première saillie à l'encontre de son mentor, avec les Sensations sur Run For Coverlee perry and sensations run for cover doctor bird, assaut qu'il renouvelle en 1968 avec I Am The Upsetterlee perry i am the upsetter ja pour le compte de Joe Gibbs. La plupart des collaborations de Lee Perry se sont d'ailleurs soldées par ce genre d'attaques vinyles : une fois sorti de la houlette de Gibbs, où ses compétences sont une fois de plus largement exploitées, il lui balance People Funny Boylee perry people funny boy doctor bird, un titre arrangé par Clancy Eccles et sorti sur le label monté avec Lynford Anderson aka Andy Capp, Upset. Clancy Eccles en prend aussi pour son grade à travers Too Gravalicious, toujours en 1968. Ces diverses charges ne restent évidemment pas sans réponses, mais puisque nous en sommes arrivés à ce fameux People Funny Boy, autant essayer de se raccrocher à notre sujet premier!


Ce titre constitue un tournant dans la carrière du Scratch, un tournant qui comporte plusieurs visages. Rythmiquement, d'abord, il est avec une poignée d'autres morceaux sortis à la même époque du sein de ce petit collège d'artistes/producteurs qui travaillaient à WIRL, l'une des pierres d'angle du genre à venir, le Reggae. Par rapport au Rocksteady, on passe à quelque chose de plus rapide, frénétique, où la section rythmique prend le dessus sur les voix jusqu'ici mises en avant. Techniquement, il introduit le sampling ou échantillonnage dans la musique, Perry s'amusant à fondre les bruitages les plus divers et incongrus dans les morceaux préalablement enregistrés en studio. Economiquement ensuite, il va permettre à son géniteur de prendre son véritable envol et bien plus. Même si les débuts du morceau sur le marché sont chaotiques, nécessitant un emprunt qui permet une première sortie de 10 000 blanks sur le marché jamaïcain, son succès attire Trojan avec qui un deal est signé : s'ensuivent rapidement plus de 60 000 ventes du single en UK. Si ces dernières permettent à Lee Perry de s'offrir une Jaguar modèle S, elles assoient déjà confortablement son statut de producteur et artiste prometteur. C'est Tighten Upthe untouchables inspirations tighten up trojan, toujours enregistré à WIRL en 1968, avec les Inspirations rebaptisés pour l'occasion Untouchables, qui vient confirmer cette nouvelle dimension. Le titre fait un tabac Outre-Manche et amène Trojan à renforcer ses rapport avec Lee Perry : le label anglais lui organise donc son premier voyage d'une longue série en UK et en profite pour établir le pendant british du label Upsetter, fondé en 1968 dans la foulée d'Upset, où sortent dès mars 1969 nombre de singles. De plus, non content du succès du 45RPM Tighten Up, Trojan le place sur une compile du même nom qui comporte deux autres succès produits par Lee Perry, à savoir A Place In The Sundavid isaacs a place in the sun trojan de David Isaacs et la reprise instrumentale du Spanish Harlemval bennett spanish harlem trojan de Ben E. King par Val Bennett, inaugurant par la même occasion sa série TTL, des 33RPM à bas prix dédiés à des rééditions. Ce premier opus de la série "Tighten Uptighten up" a par ailleurs été ressorti dans la série TBL en 1973 et suivi de sept autres volumes jusqu'en 1980. Enfin, Trojan commande un album à Lee Perry : "The Upsetter" est sensé sortir à l'été 1969, mais pour diverses raisons, sa sortie sera repoussée jusqu'à début décembre. Et puis, bien évidemment, Pama essaie de se placer dans la course et fait à son tour les yeux doux à notre artiste. Mais contentons-nous donc de ce qui s'est passé avec Trojan...


En 1969, conforté dans sa position, Lee Perry a une activité pour le moins foisonnante. Il continue d'enregistrer à WIRL, entre-temps rebaptisé Dynamic Sounds en passant aux mains de Byron Lee qui l'équipe d'un 8 pistes, et multiplie ses collaborations et enregistrements en passant une autre partie de son temps au studio Randy's, mis en place au dessus de leur magasin de disques par la famille Chin qui devient aussi le distributeur d'une bonne partie des prods de Lee Perry de cette époque aux USA. Nombres d'artistes plus ou moins établis passent alors entre ses mains et prêtent leurs voix aux instrus des Upsetters : puisqu'il n'en a pas été cité jusqu'ici, prenons pour l'exemple Eric "Monty" Morris, les Termites, Clarendonians, Bleechers, Righteous Flames, Eric Donaldson ainsi que Pat Kelly avec sa magnifique reprise du Dark End Of The Streetpat kelly dark end of the street jackpot de James Carr assortie de How Long Will It Takepat kelly how long will it take gas, deux des rares titres du Little Boy Blue produits par Perry. Concernant la composition des Upsetters, le groupe de studio du Scratch, pas de grande surprise puisqu'il est composé pour l'heure d'un all stars de musiciens officiant chez bien d'autres producteurs, et dont Winston Wright, Hux Brown, Jackie Jackson, Hugh Malcolm et Gladstone Anderson constituent le premier noyau dur, complété selon les circonstances par d'autres talents de la trempe de Theophilius Beckford, Bobby Aitken, Johnny Moore ou encore Val Bennett. Ce sont principalement eux et d'autres qui officient sur "The Upsetter", le tour des frères Barrett, Glen Adams et Alva "Reggie" Lewis ne venant vraiment qu'à la faveur d'une tournée en UK occasionnée par le succès de Return Of Djangothe upsetters return of django 1968.


Et décidément, plus j'essaie de mettre notre album du jour au coeur de l'histoire, plus j'ai la sensation de m'en éloigner. C'est que, bien que premier album de Perry et ses Upsetters conçu en tant que tel, sa sortie fut plus ou moins éclipsée par une série d'évènements de la fin de l'année 1969. Parce qu'en octobre de cette fameuse année, Return Of Django fait des siennes en UK en se plaçant à la cinquième position dans les charts nationaux. C'est l'occasion ou jamais pour Trojan de profiter du succès du Reggae en général et de quelques artistes en particulier en Angleterre, et c'est par le biais de Commercial Entertainments de Bruce White et Tony Cousins qu'une tournée de 6 semaines est initialement prévue pour les Upsetters et autres artistes. Les deux associés en question sont rompus à cet exercice puisqu'établis depuis la mid-60's, ils ont organisé pas mal de tournées déjà, comptant dans leur book plus de 50% d'artistes jamaïcains depuis que Graeme Goodall a fait appel à eux pour la première tournée UK de Desmond Dekker, prêtant aussi main forte à l'occasion de celles des Ethiopians entre autres artistes. Du coup, le 22 novembre 1969, les Upsetters atterrissent à l'aéroport d'Heathrow en même temps que les Pioneers. C'est la nouvelle/future mouture du band à Perry dans la mesure où, pour l'heure, ils n'ont enregistré que de rares morceaux pour son compte, même si les Hippy Boys qu'ils étaient originellement avaient déjà intensivement travaillé avec d'autres producteurs. Mais Lee Perry étant à la recherche d'un nouveau son, de musiciens à fondre à ses propres goûts et pour l'occasion, d'un groupe pour assurer sa promotion sur les scènes anglaises, l'ancienne bande à Max Romeo fut l'élue pour jouer en public les morceaux à succès enregistrés par les Upsetters originels, et ce au cours d'une première tournée de 28 dates du 28 novembre 1969 au 11 janvier 1970. C'est précisément à cette période, courant décembre, qu'est sorti "The Upsetter". L'album a donc certainement profité de la tournée en cours tout autant qu'elle l'a supporté, et ce d'autant plus que les apparitions publiques du quartet boostèrent les ventes du Night Doctorupsetters night doctor présent sur notre LP et d'autres singles comme Live Injectionupsetters live injection upsetter, une prise directe enregistrée en Hollande pour l'émission Shoo Be Do et reprise en Angleterre dans le must des émissions musicales, Top Of The Pops, apportant à coup sûr son coup de pouce aux ventes en cours. Pourtant, Trojan, toujours à l'affût d'un bon coup, s'affaire durant le mois de décembre 1969 à compiler ce qui est officiellement le premier album des Upsetters et de Lee Perry, "Return Of DjangoReturn Of Django". Ce dernier n'est qu'un amoncellement de morceaux enregistrés durant l'année écoulée, avec trois titres repris à "The Upsetter", soit Night Doctor, Soulful Iupsetters soulful i upsetter et Man From MI5upsetters man from mi5, Live Injection y rajoutant une couche de hit, tandis que Medical Operationupsetters medical operation upsetter constitue l'unique titre enregistré par les Upsetters alors en tournée UK. Le tout emballé dans une magnifique pochette westernReturn Of Django inside sort le 2 janvier 1970 et bénéficie de l'ensemble des facteurs que j'ai exposés jusqu'ici. L'envers du décor? Il semble que Lee Perry et les divers ayants droit n'aient pas précisément vu la couleur des billets engendrés par ses ventes, tandis que la sortie du premier album prévu fut carrément occultée et dans le même temps très peu soutenue par des sorties de singles, au contraire de "Return Of Django", dont tous les titres furent pressés en 45RPM. Trojan n'offrit pas plus de chance aux autres titres présents sur "The Upsetter" en les plaçant sur des compilations, si ce n'est Man From MI5, encore, qui fait sa réapparition en novembre 1970 sur "Loch Ness Monsterloch ness monster". Le petit plus fut une rallonge de la tournée UK. Cette dernière était sensée être l'occasion pour le Great Reggae Package Tour de se produire, mais les heurts causés lors des deux premières soirées par les skinheads conduisirent bon nombre de salles à annuler leur engagement. Commercial Entertainments, alors 2e entreprise européenne dans son domaine, réussit tout de même à conserver 8 dates pour les Upsetters, du 13 au 30 janvier 1970. Mais essayez donc d'imaginer la folie qui a du se déchaîner ce 13 janvier 1970 à Purley avec les Upsetters, Pioneers, Desmond Dekker et Symarip enchaînant hits sur hits sur scène, et le jour suivant à Ilford bien que sans le dernier groupe cité!!!...


Une fois le contexte de sortie de ce LP bel et bien posé, il est temps de se pencher sur le contenu de cet album. L'ensemble, essentiellement composé de reprises de titres US, fait écho au goût de plus en plus prononcé de Lee Perry pour le son de l'orgue. C'est Winston Wright qui s'y colle sur Tidal Wave, où il recrée le He'll Have To Go de Jim Reeves -1959- tandis qu'il s'inspire du Hard To Handle d'Otis Redding -1968- dans le titre suivant, Heat Proof. Pour continuer, Busty Brown reprend de manière remarquable le To Love Somebody des Bee Gees -1967-, puis vient ce fameux Night Doctor, un de ces titres qui fit le succès de Lee Perry. En fait, et c'est assez rare pour être souligné, il n'a absolument rien à voir avec la création de ce titre, entièrement pris en charge par Ansel Collins qui le lui vend une bonne année après l'avoir enregistré. Pour la petite histoire, la batterie y est tenue par le futur Sly Dunbar, qui officie là sur son premier enregistrement. Ansel Collins signe aussi les riffs d'orgue sur Man From MI5 et Thunderball, bien que pour ces coups-ci sous la houlette de Lee Perry, sûrement influencé par le cinéma pour ces deux titres, en l'occurence le film d'animation Thunderbirdsthunderbirdso -1965-1966-, dont Man From MI5 constitue un épisode, ainsi que celui d'espionnage avec Sean Connery, Thunderballthunderball -1965-. Wolfman suit un peu le même modèle en s'inspirant des films de loups-garous, bien qu'il soit plus difficile de deviner par quel film en particulier le Scratch a été influencé ; The Wolf Manwolfman, sorti en 1941? C'est en tous cas la réponse que me dicte la facilité mais ce pourrait tout aussi bien être Dr Terror's House of Horrorsdoctor terror s house of horrors ou Mad Monster Partymad monster party -film d'animation UK- sortis respectivement en 1965 et 1967, ou encore les nombreux films mexicains du genre à l'écran dans ces années-là... Pour reprendre le fil laissé avec Ansel Collins, on retrouve Winston Wright réinterprétant le Since You Are Gonesince you are gone david isaacs de David Isaacs sur Soulful I quand les Silvertones se muent en Muskyteers pour reprendre son Kiddy-O à Brook Benton. Busty Brown réapparaît ensuite le temps d'un Crying About You dont le son détonne pour le moins sur ce 33RPM. Au final, 8 instrumentaux et 4 chansons pour cet album rangé au placard avant même sa sortie. Soyons honnêtes : avec ses multiples ambiances, il n'en reste pas moins agréable à écouter. Il n'en faut pas plus pour confirmer cette fameuse sleeve note à laquelle il était fait allusion plus haut...


Enfin et tout en restant désormais au plus près de notre sleeve, quelques remarques. J'ai déjà noté dans ma chronique consacrée au "Reggae Power" des Ethiopians que l'une des deux modèles présentes ici avait été reprise. Et bien la jeune femme noire qui apparaît ici a été maintes fois exposée elle aussi, avec des photos qui semblent bel et bien être issues de la même séance au vu de son accoutrement : à vous de voir, mais je n'ai aucun doute en ce qui concerne la compil "No More Heartachesno more heartaches" où elle se trouve aussi en quatrième de couvertureno more heartaches. On retrouve ce même couple au dosmillie and her boyfriends du LP "Millie & Her Boyfriendsmillie and her boyfriends" où, semble-t-il, on aurait tenté de faire passer la modèle en question pour Millie. Raté : certes, le visage est difficilement visible, mais les vêtements portés par le couple ne laissent pas trop de place aux doutes. J'ai moins de certitudes concernant la personne présente au reversindependant Jamaica d'"Independant Jamaicaindependant Jamaica" mais je tente tout de même le rapprochement sur le faciès de la jeune femme, vêtue différemment pour l'occasion... Autant de nouvelles preuves de la versatilité de Trojan, qui recycle et optimise toujours ses matériaux!


Tracklist: A: Upsetters - Tidal Wave ; Upsetters - Heat Proof ; To Love Somebody - Busty Brown (JA : Upsetter ; UK : Upsetter US 308-A, 1969) ; Upsetters - Night Doctor (JA : Upsetter ; UK : Upsetter US 307-A, 1969) ; Upsetters - Soulful I (JA : Blank ; UK : Upsetters US 318-A, 1969) ; Upsetters - Big Noise. - B: Man From M. I. 5 (JA : Blank ; UK : Upsetter US 310-A, 1969) ; Upsetters - Dread Luck ; Muskyteers - Kiddy-O (UK : Upsetter US 309-A, 1969) ; Upsetters - Wolfman ; Upsetters - Crying About You ; Upsetters - Thunderball.





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depuis le 16/01/2011 [MAJ 10/2011 ; 03/2012].



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33 RPM :