Doctor Bird / Graeme Goodall. - UK, 1966-1969.
Pour faire court et aller droit à l'essentiel : Doctor Bird fut un label basé en UK, fondé par Graeme Goodall. Y furent publiés près de 400 titres de Rock Steady et de Reggae entre 1966 et 1969 sous le format 45RPM, titres produits en Jamaïque par les noms les plus prestigieux, parmi lesquels Duke Reid, Coxsone Dodd, Lee Perry, Carl Johnson, Clancy Eccles, Sonia Pottinger, Rupie Edwards, Bunny Lee et j'en passe... Il pourrait manquer à cette liste une pointure telle que Leslie Kong si Graeme Goodall ne lui avait très tôt consacré une marque propre, à savoir Pyramid. Le titre inaugural, numéroté DB 1001, fut Every Night par Joe White & Chuck backé par le Baba Brooks Band et produit par Sonia Pottinger pour Gayfeet. Avec ça, Graeme Goodall gère son propre studio à Londres, avec The Bees, futurs Symarip, comme backing band pour enregistrer quelques artistes locaux. Un tel catalogue fit à l'époque de Doctor Bird et de ses sous-labels -puisque, entre autres, Rio se retrouve un peu par hasard entre les mains de Goodall- un concurrent direct aux grosses machines à vendre que furent d'abord Island, puis Trojan et Pama, sinon en quantité du moins en qualité. Côté 33RPM, c'est à priori moins d'une vingtaine de galettes que le label publia, mais des disques qui reprirent et mirent en avant les artistes jamaïcains parmi les plus prometteurs de l'époque : un coup d'oeil sur la liste incomplète dressée plus bas suffit pour s'en rendre compte. Pour la partie graphique, Doctor Bird reprend l'oiseau symbole de la Jamaïque auquel il a emprunté le nom, le colibri, le tout aux couleurs du drapeau de l'île : on ne saurait faire plus représentatif. Les 45Tours étaient vendus dans une pochette monochrome à la déco inspirée de la peau de léopard : Goodall voulait que ses productions aient la classe de celles proposées par les américains, et ce à un moindre prix. Attention à ne pas confondre avec le label éponyme jamaïcain mené par Raymond Harper et A. Parks de 1965 à 1967, lesquels ont produit quelques morceaux dont très peu sont sortis Outre-Manche, mais dont Blue Beat et Doctor Bird se sont occasionnellement fait l'écho en UK. Le label de Graeme Goodall fut liquidé par la MCPS (Mechanical-Copyright Protection Society) pour des problèmes de droits d'auteur et son catalogue fut entièrement récupéré par Trojan.
L'essentiel ayant été posé, il m'est impossible de faire l'impasse sur la parcours de Graeme Goodall, tant il teint un rôle clé pour le développement de l'industrie musicale jamaïcaine, et ce à tous ses niveaux. Un petit essai pour le retracer est aussi essentiel pour capter un tant soit peu d'où vient tout le bon goût des sorties Doctor Bird...
La carrière de Goodie, comme il fut surnommé plus tard en Jamaïque, commence en Australie, son pays d'origine, entant qu'ingénieur du son dans la retransmission d'évènements sportifs. Très vite, en 1954, il se rend en Angleterre où il travaille pour IBC, une station de radio locale qui gagne aussi pas mal d'argent comme studio d'enregistrement. C'est cette même année qu'il est contacté par le gouvernement jamaïcain pour participer à la construction et au développement de la seconde radio locale, RJR. Il accepte le deal et se rend donc aux West Indies. Là, il s'avère être l'un des rares ingénieurs du son qualifiés de l'île, ce qui lui vaut d'être très vite en tête de liste dans les petits papiers des candidats à la production musicale. A cette époque, la situation en Jamaïque est assez simple : il n'y a pour ainsi dire aucun studios d'enregistrement, à moins que la cabane et le matériel utilisés par Stanley Motta pour graver Mento et Calypso puissent être qualifiés de la sorte. Le système y est en tous cas assez rudimentaire : les enregistrements sont effectués en une prise, gravés directement sur l'acétate témoin qui est ensuite envoyé en UK d'où il revient par miracle pressé et démultiplié en 45Tours. On ne peut donc à ce point zéro parler d'industrie musicale insulaire. Cette dernière est en gestation : elle n'attend que des capitaux, de l'ambition et du savoir-faire.
Le capital et l'ambition vont dans un premier temps être l'apanage de Ken & Papa Khouri, commerçants aux origines libanaises et cubaines. Ken Khouri se lie très vite d'amitié avec Graeme Goodall, qui aurait pu rater l'aventure : en 1957, il repart en Australie, mais est rappelé au bout de six mois par la JBC pour, cette fois-ci, installer des antennes. Ken Khouri s'est entre-temps procuré du matériel d'enregistrement aux USA : il veut monter un studio, et Graeme Goodall sera de la partie technique : Federal est opérationnel dès 1958 ; plus qu'un simple studio, Federal est la première entreprise insulaire capable de produire un disque microsillon de A à Z puisque le local est aussi pourvu d'une presse. Mais ce dernier est très vite affublé d'un concurrent sérieux avec Edward Seaga qui finance la construction de WIRL, dont la conception est elle aussi confiée à Goodall. La rencontre avec un autre personnage clé de l'industrie musicale jamaïcaine intervient dans ces années là : Chris Blackwell propose tout d'abord à Graeme de s'associer dans la location de jukeboxes. Les disques seraient dans un premiers temps ceux d'artistes US, mais très rapidement, Goodie profite de sa position à RJR et de nombreuses heures de travail supplémentaire pour enregistrer du Boogie local avec entre autres Laurel Aitken, Owen Gray, Keith & Enid ou encore Jackie Edwards. Tout va très vite, les projets se multiplient, et en 1961, Goodall rejoint définitivement Federal Records, alors même que des classiques y ont déjà été enregistrés : il suffit de penser à Easy Snappin' de Theophilius Beckford, sorti par CS Dodd en 1960. L'industrie musicale jamaïcaine est définitivement lancée, et Goodall attire les convoitises : il n'est pas anodin de constater qu'il fut aussi partie prenante dans la construction des légendaires studios que deviendront Studio One et Treasure Isle, en 1962/1963.
Derrière la console, le nombre de sessions auxquelles il a participé entre 1958 et 1966 est insondable. On peut du reste considérer qu'il fut le mentor de bien des ingénieurs du son insulaires qui gagneront par la suite leur propre renommée, et dont Byron Smith, futur technicien de Treasure Isle, fut parmi les premiers dépositaires aguerris : il participa d'ailleurs à la construction de la chambre à écho commandée par Ken Khouri, qui se procura pour l'occasion les services de Tommy Dowd, ingénieur du son attitré d'Atlantic Records. Le rôle de Graeme Goodall trouve aussi une place au plus près des artistes : Stranger Cole, Desmond Dekker, Patsy Todd et bien d'autres profitèrent de ses connaissances en matières de technique de chant au micro.
Côté business, Goodall vit ses premières expériences en cofondant Island avec Blackwell et Kong en 1962, avant que l'anglais, flairant la bonne affaire en devenir, ne rachète les parts de ses deux associés, en 1965. Mais Graeme Goodall n'est pas en reste. C'est en Angleterre, en 1966, qu'il crée son label Doctor Bird, avec la participation de deux hommes d'affaire, un guyanais, Georges Benson, et un jamaïcain, Bunny Rae, d'abord sans grand succès. Ces derniers se joignent ensuite à Seaga et prennent part aux activités de WIRL qui est alors sensé être le pourvoyeur de Doctor Bird. Peu de temps après, lorsque le studio prend feu, leur position financière est fragile et Goodall, alors établi à Londres, en profite pour racheter leur part du label. Il le destine alors à sortir les prods de Treasure Isle en UK. C'est là que Kong intervient : il aurait voulu voir ses propres prods sortir en Angleterre sous les couleurs du colibri, ce à quoi Goodie répond avec la création de Pyramid. On est alors en 1967, les allers / retours entre Londres et Kingston sont très fréquents et le Reggae en plein devenir... Ce n'est pas la création d'une autre marque en 1968, J. J., qui viendra contre-dire cet état de fait.
L'aventure Doctor Bird prend fin en 1969, du moins en tant que label. La même année, en Jamaïque, WIRL a été vendu à Byron Lee qui le renomme Dynamic Sounds Recording ; c'est entre autres lieux là que Goodie poursuivra au moins pour un temps sa relation avec la musique jamaïcaine, tout en continuant les allers / retours entre les deux îles puisqu'il est dans les années suivantes fréquemment cité comme participant à bien d'autres projets musicaux Outre-Manche. En effet, Doctor Bird reste tout de même le patronyme de l'entreprise musicale de l'australien qui n'en a pas, à cet âge d'or, fini avec la musique jamaïcaine en Angleterre : Reggae, un essai de relance de Treasure Isle ou encore cette autre création qu'est Attack
des deux côtés de l'Atlantique en sont des preuves tangibles bien qu'à une échelle plus limitée qu'auparavant. Personnage de l'ombre incontournable donc!
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depuis le 03/10/2010 [MAJ 08/2011].