Gay Feet / Sonia Pottinger. - JA, ca 1965-1975.

Gay Feet

gay feet jaGay Feet, un label qui sonne à première vue comme un Rock Steady des plus sucrés, un de ceux dont les vocaux planent si haut qu'on a l'impression sur le coup que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil... Jimmy Cliff n'y a pourtant jamais rien enregistré, qu'on se le dise! Et puis, c'est finalement une fausse impression puisque durant une grosse dizaine d'année, de 1965 à 1975, Gay Feet fut le réceptacle à près de 300 titres où bien des meilleures formations jamaïcaines se sont côtoyées : Joe White pour commencer, les Gaylads bien sûr, les Melodians, Ethiopians, Gaytones, Valentines, Conquerors, Judy Mowatt, Patsy Millicent Todd, Stranger Cole ou encore Delano Stewart, avant que Dennis Alcapone et autre Big Youth n'y apportent une touche toastée, sont ceux qui ont le plus contribué au succès du label, à travers des hits retentissants, de ceux qui relèvent encore le niveau d'une compilation ou offrent un irrésistible cachet à une soirée : ce n'est pas anodin si nos pieds sont sensés être soudainement gagnés par une saine gaîté!


En UK, les productions du label furent dans un premier temps distribuées par Graeme Goodall, Trojan lui coupant l'herbe sous les pieds dès 1967 avec High Note puis Gay Feet. De rares exceptions de la marque Gay Feet ont tout de même fait des incursions anglaises à travers d'autres labels : les Melodians ont aussi été publiés sur Smash ou Duke, Torpedo, Horse ou encore Rymska servant de points du chute inédits à d'autres artistes pour des titres plus ou moins efficaces.


Côté 33RPM, rien ne me permet d'avancer ici que Miss Pottinger en ait sorti sous cette marque : aura-t-elle exclusivement sorti des 45RPM? De l'autre côté de l'Atlantique, en tous cas, les concernés ne se sont pas faits prier pour sortir quelques compilations bien représentatives de Gay Feet. Mais dépassons ce stade, et rendons nous au 37, Orange street à Kingston, voir un peu comment était mené tout ce joli monde...


Sonia Pottinger : the lady with the starlight

Lorsque l'on a affaire à un personnage hors-normes dans un domaine bien spécifique, il n'est pas forcément bienvenue d'attendre son décès pour lui rendre hommage, même si c'est finalement assez courant dans la mesure où c'est précisément le genre de situation où l'on redécouvre les personnes en question... Avec la mort de Sonia Pottinger le 3 novembre dernier, c'est un pan de plus de l'histoire vivante de la musique jamaïcaine qui disparaît, suivant de très près le Cool Ruler Gregory Isaacs ou encore le beaucoup moins connu Keith Stewart, du fameux duo de Boogie jamaïcain Keith & Enid. Mais j'ai fait allusion à un personnage hors-normes : il va falloir que je m'explique...


Le premier fait, c'est que cette dame née en 1931 fut l'unique représentante du beau sexe dans le cercle très fermé des producteurs de musique jamaïcains, et ce pendant près de 20 ans. Et si, vu d'ici, ce n'était pas là une raison suffisante pour la pointer du doigt, rajoutons simplement qu'elle a accompli son rôle avec un succès certain : sa longévité dans le milieu est d'ailleurs là pour le confirmer. Et pour le démontrer, il y aurait bien des points à aborder, mais les limites de son activité se sont tellement étirées dans le temps, qu'il n'est pas question ici de tout relever. Je me contenterai donc de souligner ses faits les plus marquants aux époques qui font spécifiquement ces pages.


Mariée au producteur et homme d'affaire local Lyndon Pottinger, Sonia attend 1965 pour ouvrir son magasin de musique, Tip Top Records Shop, et enchaîne très vite avec de la production. C'est sous l'impulsion de Joe White & Chuck Joseph qu'elle se prête au jeu lorsque ces derniers lui présentent Baba Brooks et ses acolytes. Ils enregistrent alors Every Nightjoe white and chuck every night gay feet en une prise, premier titre à paraître sur le label Gay Feet de Mme Pottinger, le même qui devait justement baptiser Doctor Bird dans l'ancienne métropole. L'expérience étant probante, elle continue donc, avec notre productrice qui se démarque très vite de la plupart de ses collègues masculins en proposant à ses artistes une rétribution juste et systématique. Sa réputation est vite faite, et les retombées ne se font pas attendre : la plupart des grands noms qui la rejoignent au moins pour un temps sont en général mécontents du traitement subi chez ses concurrents, qui à cette époque se résument quasiment à Duke Reid et Coxsonne Dodd... C'est ainsi qu'elle voit débarquer les Melodians de chez le premier, tandis que Ken Boothe, les Heptones, Errol Dunkley ou encore Delroy Wilson marquent leur désaccord avec Dodd en lui rendant visite. La dame en était bien consciente, et avec le recul des années, elle confie plus tard à Steeve Barrow et Peter Dalton les mots suivants : "la seule chose que je puisse dire au sujet des artistes de cette époque, c'est qu'ils étaient pauvres mais étaient aussi des personnes adorables. Ils avaient de l'amour à revendre. Si vous leur montriez de la tendresse, ils faisaient en sorte de vous en donner en retour. Je ne peux rien dire sur les artistes d'aujourd'hui étant donné que je ne travaille pas avec eux, mais dans le temps, c'était des gens vraiment merveilleux avec qui travailler. Et ils écoutaient. Ils voulaient s'améliorer. Vous pouviez facilement parler à un artiste (...) parce qu'ils réalisaient que c'était pour eux un processus de maturation". Vu et expliqué comme ça, les coups de feu d'un Duke Reid atteignent des sommets de barbarie! Et puis, l'autre facette de Miss Pottinger résidait dans sa bonne gestion de son business, qu'elle ne cessa d'ailleurs d'agrandir avec d'autres labels, tels que Tip Top, Glory, Pep, Rainbow et Excel ; son ambition est sans frontières puisqu'elle signe très tôt des deals Outre-Manche avec Doctor Bird, puis Trojan qui édite ses prods dès 1967 à travers sa division High Note, puis Gayfeet en 1969. Au niveau local, elle gagna rapidement le support de son mari, propriétaire de plusieurs centaines de juke-boxes, tout en le privant, selon ses propres dires, de tarifs préférentiels. Cet ensemble ajouté à sa bonne oreille réunirent donc les éléments essentiels au succès de nombre de ses productions.


Deux ou trois titres de classiques devraient être suffisants pour convaincre les plus sceptiques : Hard To ConfessHard To Confess Gaylads Raibow des Gaylads et Swing & DineSwing & Dine des Melodians gay feet des Melodians sont parmi les parangons du Rocksteady! Bon, il n'est certainement pas anodin que dans ces cas précis, les enregistrements aient été faits à Treasure Isle, et avec Lynn Taitt et ses Jets, qui plus est, tout comme pour The Whipethiopians the whip dr bird des Ethiopians... Mais ça n'enlève rien au mérite de la femme qui, même si elle recala Carlton & The Shoes qui s'en allèrent donner un superbe Love Me ForeverCarlton and the shoes Love me forever Coxsone à Coxsone, fut aussi la première à donner leur chance aux Hippy Boys, selon le témoignage de Max Romeo himself : il lui aurait en effet présenté le groupe qui finit par se stabiliser autour des frères Barrett, de Glen Adams et Alvin Lewis pour enregistrer un Dr No Gohippy boys dr no go high note ja et quelques autres titres avant de reprendre son propre chemin : rien de moins qu'une bonne partie des futurs Upsetters et un son déjà bien tranchant, canon Early Reggae! Et j'ai choisi de me limiter à ces late 60's-early 70's, sans quoi je serais obligé de disserter sur les femmes qu'elle a conforté dans leur carrière ou contribué à lancer dans le grand bain, à l'image de Judy Mowatt, Marcia Griffiths ou encore Carlene Davis. La référence à la seconde moitié des années 70 se voudra quant à elle complètement anodine, même si Culture et Big Youth sont des noms qui sonnent...


Et quand bien même, il m'est impossible des terminer cet article sans faire référence à son travail de mémoire. En effet, si elle a établi une grande partie de sa renommée à l'ère Rocksteady, elle sut la faire fructifier sur le long terme dès le milieu des années 1970 en rééditant parties de son catalogue et de celui de Duke Reid, qu'elle lui avait racheté peu avant sa mort en 1974. Sur ce point, elle a pu d'ailleurs dépasser les bornes : la production du superbe album "Mr Soul Of Jamaicamr soul of jamaica alton ellis" d'Alton Ellis, sur Treasure Isle, lui est créditée dans son pressage de la fin des années 1970! Peut-être est-ce la mention "stéréo" qu'elle revendiquait? Dans ce cas-là, il reste peut-être à définir ou redéfinir une fois pour toute les fonctions d'ingénieur du son, producteur, masteriser et etc... Ceci dit, même après avoir arrêté d'enregistrer, elle continua à promouvoir les Oldies jamaïcains en collaborant dans les années 1990-2000 avec Heartbeat, qui réédita bon nombre de ses productions et de celles de Duke Reid, comme il le faisait d'ailleurs avec le catalogue Studio One. Enfin, elle n'eut cesse de se battre pour une meilleure reconnaissance et rétribution du patrimoine musical jamaïcain, en militant pour une révision du droit d'auteur local. Le long procès qui l'opposa à Coxsone Dodd, à Antony Reid fils du Duke, à Treasure Isle Records International Limited et à Bunny Lee pour la reconnaissance de ses droits sur le catalogue Treasure Isle, gagné en 2009, s'inscrivait certainement dans une démarche plus personnelle mais a immanquablement eu le mérite de clarifier certaines lacunes du système local. Unique, la dame!



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depuis le 14/11/2010.



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