Reggae Power / Ethiopians. - Trojan TTL 10, 1969.

Reggae Power - Ethiopians

reggae powerS'il y a une formation jamaïcaine loin d'être étrangère à mes premiers émois Oldies, c'est bien celle-ci. Ils ne sont sûrement pas responsables de tout, mais c'est un fait, c'est un de ces groupes fondateurs pour mon intérêt pour la musique jamaïcaine des 60s. Ceci dit, l'emploi de la première personne est bien incongru ici : les Ethiopians ne sont pas les premiers venus non plus, et d'un point de vue général, ce groupe fait tout simplement partie des cadors de l'époque, une référence en bien des points. Ce n'est donc pas un hasard si on les retrouve aujourd'hui encore sur la plupart des compilations consacrées aux années 60 jamaïcaines et sont tout bonnement impossibles à ignorer. Autant de raisons valables pour me pencher de plus près sur leur deuxième album sorti en Europe, tellement classique et courant en ventes d'occasion qu'il doit se trouver dans la plupart des étagères de fans du genre, ce qui n'est pas forcément le cas pour tous les albums chroniqués jusqu'ici...


Ce n'est pas faire injustice à la mémoire de Stephan Taylor, mort dans un accident de la route en 1975, que de ramener les Ethiopians à la personne de Leonard Dillon. Bien sûr, on entend son partenaire et ami sur tous les morceaux du groupe en question jusqu'à ladite date, mais il fut à n'en pas douter le grand artisan de leur succès, actif et présent qu'il était dans toutes les étapes de la création de ses disques, du moins lorsqu'il le pouvait. A ce titre, ce "Reggae Power" est tout à fait représentatif. Né en 1942 dans la paroisse de Portland, à l'Est du pays, Dillon a grandi auprès de ses grands parents, sa grand mère enseignant la musique, alors que son grand père était homme d'église. On perçoit déjà ici les deux orientations principales de la carrière de notre chanteur : si la première, la musique, est évidente, la seconde l'est peut-être moins ; mais quand Léonard Dillon affirme tout de go que son grand père lui avait plus appris sur l'Afrique que sur la religion, on saisit mieux comment, sans pour autant avoir sorti des titres ouvertement rastafari, cette philosophie imprègne dès ses débuts la plus grande partie de son répertoire.


Ses débuts, justement, il les fait en arrivant à Kingston, en 1965, où Peter Tosh le présente à Studio One. Après une audition devant le trio Dodd-Mittoo-Perry, il y enregistre quatre titres sous le nom de Jack Sparrow, dont trois avec les Wailers aux choeurs. Ces derniers ayant leur propre carrière à mener, il forme alors son propre groupe avec Stephan Taylor et un troisième larron, Aston Morris, qui les quitte très peu de temps après. Ensemble, ils enregistrent quelques morceaux pour Coxsone pendant l'année 1966, parmi lesquels le rudeboy'song I'm Gonna Take Overethiopians i m gonna take over studio one et un superbe Free Man. Quant au nom du groupe, Coxsone leur préfère Ethiopians, du nom du lieu où ces derniers répétaient, The Ethiopian Reorganization Center, à Trench Town, à The Heartaches : bien vu. Et ce d'autant plus que Dillon et son acolyte imposent rapidement leur style au studio, usant sans vergogne du patois local quand les autres formations s'appliquaient à un anglais académique, et saupoudrant habillement leurs chansons de leur foi rasta. L'année suivante, Dillon et Taylor tentent une nouvelle aventure dans ce qui apparaît dans leur discographie comme l'ère Sonia Pottinger. Or, Leonard Dillon est sans appel la concernant : c'est pour lui une voleuse... Selon l'intéressé, il aurait lui-même financé l'enregistrement de Train To Skavilleethiopians train to skaville rio, en 1967, avec les économies réalisées sur les gains de ses précédents enregistrements et son travail dans le bâtiment. Ce titre ayant été un gros hit en Jamaïque, il lui permit de réinvestir dans l'enregistrement d'une ribambelle d'excellents morceaux, parmi lesquels The Whipethiopians the whip doctor bird, Cool It Amigoethiopians cool it amigo gay feet, Stay Loose Mamaethiopians stay loose mama doctor bird et Train To Gloryethiopians train to glory gay feet. Au même moment, les Ethiopians furent appelés en Angleterre par Graeme Goodall pour accompagner Desmond Dekker en tournée et faire la promo de trois titres qui s'y vendaient bien alors : Train To Skaville, Free Man et le déjà ancien How Me No Pay Meethiopians how me no pay studio one. Dillon laissa alors les bandes à Miss Pottinger et lui demanda de s'occuper de leur distribution. Elle ne semble pas avoir fait dans la demi-mesure en s'appropriant purement et simplement le travail des Ethiopians, distribué sous son nom en Jamaïque comme en UK. Revenus de tournée, les Ethiopians continuèrent à enregistrer pour différents producteurs et sortirent leur fameux premier LP sur Wirl, "Engine 54engine 54 ethiopians wirl", avant de retourner une nouvelle fois en UK en 1968.


La rencontre entre Dillon et Carl "Sir JJ" Johnson, qui a produit tous les morceaux de ce "Reggae Power", intervint apparemment dès 1967. Si les propos tenus par Leonard Dillon semblent sans équivoque, il est en revanche difficile de reconstituer fidèlement la chronologie des évènements. Mais pour ce que j'ai compris, ils se sont passés à peu près de la manière suivante : en 1967, Dillon lui avait déjà proposé des chansons, mais ça n'était apparemment pas encore le bon moment pour celui qui produisait pour l'heure les Fugitives, Carl Dawkins ou encore les Kingstonians, louant les services du studio WIRL. Dillon lui demanda ensuite, avant sa tournée de 1968, d'aller en Angleterre pour voir comment ses disques marchaient. Le voyage dut être décisif puisque Johnson y négocia un album des Ethiopians avec Trojan et s'attela à financer leur travail à son retour en Jamaïque, avec pour unique condition de faire un titre sur le thème "everything crash"... En effet, Dillon insiste bien sur le fait que lui et son acolyte avaient les mains libres, ils faisaient ce qu'ils voulaient, et c'est Dillon lui même qui arrangeait les morceaux. Pour le reste, il semble qu'un disciple de Graeme Goodall se trouvait à la console, en la personne de Lyndford Anderson aka Andy Capp, futur ingénieur du son de Leslie Kong puis Lee Perry ; côté orchestre, on sait que les Ethiopians ont à l'occasion enregistré avec Tommy Mc Cook et ses Supersonics à WIRL, mais pour les morceaux de notre album, il semblerait que ce soient les Carib Beats de Bobby Aitken, avec Val Bennett au sax, qui sont intervenus sur la plupart des morceaux. Enfin, Melvin Reid, rencontré plus ou moins en même temps que Sir JJ, fut employé aux choeurs les quelques fois où il se trouvait par là, mais sans entrer à part entière dans le groupe : c'est en tout cas bien lui qui apparaît en photo au dos de la pochette de notre "Reggae Power".


Résultat : Carl Johnson sortit au fur et à mesure les titres enregistrés par les Ethiopians, d'abord en Jamaïque où Everything Crash fit tout de même un #3 en termes de ventes annuelles pour 1968. Son commentaire du chaos social qui avait alors sévi en Jamaïque n'y est peut être pas étranger : "What go bad a morning / Can't come good a evening / Everybody carry bucket to the well / One day the button must drop out / Everything crash..." Du reste, ce type de commentaire sur le quotidien jamaïcain est une habitude du duo qui en plus de ne jamais avoir commis de reprises, sortit rarement du registre conscious. D'ailleurs, les observateurs s'accordent pour faire entrer ce titre dans les précurseurs du futur Reggae Roots, à l'instar d'un Israelitesisraelites pyramid tout aussi tranchant. Woman Capture Man reste aussi un bon titre des Ethiopians, lequel est repris en 1970 par Trojan dans l'album éponymeethiopians woman capture man, tout comme Everything Crash. What A Fire, quant à lui, est un véritable plaisir à l'écoute, avec ses appels / réponses, quand Hong Kong Flu, qu'on retrouve aussi sur l'album suivant, ne fait pas dans le détail avec son rythme frénétique, en plein dans le nouveau son d'alors, le Reggae. Sur ce point, lorsque Trojan sortit "Reggae Power" en UK, reprenant la compileethiopians reggae power sir jj sortie en Jamaïque par Carl Johnson délestée des 3 titres de Roy Shirley remplacés par Woman Capture Man, Free et One aux côtés des deux instrumentaux que sont Robert F. Kennedy et Dollar Of Soul -crédités aux Kingston Tops-, le label n'hésita pas à le mentionner comme le premier "original Reggae LP on the market". C'est dit, même si avec le recul on peut chercher à relativiser la portée de cette affirmation, certains titres étant encore assez proche du Rocksteady, quoique surtout, les Ethiopians, tout en suivant les évolutions musicales jamaïcaines, ont tout de même un style à part, bien à eux et si reconnaissable. Mais on est alors à l'automne 1969 et la plupart des titres de ce LP sont sortis au fil de l'année en 45RPM sur Doctor Bird, Trojan ou encore J.J., Everything Crash a, comme en Jamaïque, eu un gros succès auprès des fans locaux, et il était temps pour le label au casque troyen de profiter de cette spirale et du nouveau rythme naissant tout en remplissant le contrat passé l'année précédente avec le producteur jamaïcain. Ce fut aussi pour notre duo l'occasion d'une troisième tournée anglaise en 3 ans, avec le Ram Jam comme point de départ et des skinheads au rendez-vous, mais dont Leonard Dillon ne saisit semble-t-il jamais l'existence...


Curieusement, aucun titre de notre LP n'ont été repris par les compilations de l'époque : une diffusion à grande échelle de "Reggae Power" a peut-être rendu inutile ce type d'action. En 1968, tenant avec Reggae Hit The Townethiopians reggae hit the town studio one un formidable hit, Pama ne s'en était pas privé, le ressortant sur "Crab Biggest Hitscrab biggest hits pama", "Reggae Hits'69reggae hits 69 pama" et "Lovely Dozenlovely dozen pama" et allant même jusqu'à baptiser une compilereggae hit the town pama du même titre sans même l'y insérer : si ça ça n'est pas du monnayage!!! Circonstance légèrement atténuante : eux n'avaient eu droit qu'à une poignée de titres des Ethiopians, produits par Harry Robinson et sortis sur Crab, parmi lesquels Fire A Muss Muss Tailethiopians fire a muss muss tail crab qui fut aussi un des titres ayant trusté le label au crabe. Pour sa part, Sir JJ ne leur fit parvenir que de rares titres du duo, avec lesquels il travailla pourtant jusqu'au bout : Buss You Mouthethiopians buss your mouth nu beat et Rough Way Ahead sortis en 1969 sur Nu Beat pourraient en constituer la totalité. Bref, bien du monde, y compris Duke Reid, Lloyd Daley, Ruppie Edwards, Lee Perry, profita des voix et du style inimitable des Ethiopians ; et je n'ai pas été au delà de 1969 dans le tracé de ce riche et sinueux parcours qui nous a amenés à nous intéresser à ce "Reggae Power"...


Pour terminer au plus près de notre objet du jour, notons simplement que le modèle qui apparaît sur cette pochette n'est autre que l'une des deux jeunes femmes entourant Lee "Scratch" Perry sur la couv' de l'album que Trojan est entrain de lui préparer à la même époque : "The Upsetterva the upsetter". Gageons que la séance photo fut la même aussi. Loin d'être une info retentissante, il me semble que ça donne toujours une idée de la cadence à laquelle travaillait le label et de sa manière de recycler le matériel à sa disposition. Les exemples sont de diverses sortes, notamment à travers la reprise du catalogue Island comme on l'avait vu avec "Forward March!", et j'espère pouvoir en donner quelques-uns encore dans le futur. D'ici-là...


Tracklist: A: Woman Capture Man (JA : Sir J.J. ; UK : Trojan TR 666-A, 1969) - Everything Crash (JA : Sir J.J. ; UK : JJ 3300-A ; Doctor Bird DB 1169-A, 1969) - What A Fire (JA : J.J. Records ; UK : Doctor Bird DB 1186-A, 1969) - Losing You (JA : Sir J.J. ; UK : Doctor Bird DB 1169-B, 1969) - Robert F. Kennedy - Free B : Hong Kong Flu (JA : Sir J.J. ; UK : Doctor Bird DB 1185-A, J.J. JJ 3303-A, 1969) - Gun Man - One - Feel The Spirit (JA : Sir J.J., 1969)- Dollar Of Soul.





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