Melodisc / Emil Shallit. - UK, 1946-1982.

Melodisc

melodiscMelodisc n'est pas à proprement parler un label "Reggae" comme ceux que l'on a vus jusqu'ici, mais ça n'est pas pour autant qu'il n'a pas joué un rôle majeur dans la diffusion de la musique jamaïcaine hors des rivages de son île d'origine. Fondé en 1946 à Londres, il est la propriété d'un certain Emil Shallit, entrepreneur qui passe le plus clair de son temps aux USA, son pays d'adoption, ce qui explique peut-être que l'on y retrouve un label éponyme, et ce dès 1945. Au début des années 1950, le catalogue de Melodisc comprend déjà deux grosses centaines de 78RPM dédiés à la musique juive, puisque c'est la confession de notre homme, et puis aussi, pour faire face à une demande de plus en plus pressante à Londres en musique noire américaine, à du Jazz. Pour y faire face, tous les moyens sont bons : soit enregistrer des artistes UK ayant adopté et adapté le style en vogue aux Etats-Unis, soit vendre directement des artistes US pris en licence parce que tout bonnement ignorés par les grosses cylindrées de l'industrie du disque. Avec le recul, on peut voir qu'Emil Shallit a le nez creux puisqu'on retrouve sur son label rien de moins que Stan Getz, Charlie Parker ou encore Nat King Cole... Le Blues étant à cette époque en UK une division du Jazz -il semble qu'il soit au même moment apparenté à la Folk Music aux USA-, il va de soi que Melodisc en comporte aussi, profitant donc de la présence de son patron sur les lieux de production de toutes ces curiosités. Plus surprenant, et toujours à cette même époque, on croise dans ce catalogue quelques titres de Calypso. Ce dernier était très apprécié de la classe moyenne US à la recherche de sonorités tropicales tranchant avec la sophistication des sons locaux, et c'est peut-être un début d'explication à cette trouvaille. Quoi qu'il en soit, ce sont aussi des artistes caribéens qui sont crédités sur les galettes en question, à l'image de Lord Kitchener, entre autres jamaïcains. Il semble en effet qu'Emil Shallit ait profité de ses réseaux pour être mis directement en rapport avec le premier pourvoyeur du genre en Jamaïque.


Mais avant de creuser plus en avant dans cette veine qui sera reprise dans notre partie consacrée à Monsieur Shallit, contentons-nous de donner une certaine perspective à la diversité des approches de Melodisc : en 1954 y apparaît le sous-label Kalypsokalypso melodisc qui est un temps dédié aux productions jamaïcaines ou assimilées, étendant la pénétration des marchés de Notting Hill, Brixton et autres enclaves noires londoniennes et ouvrant par là-même la voie à l'expérience Afro, Highlife, Latin et même Gypsie sous le macaron de la maison mère, Melodisc, en 1959 ; le début des années 1960 et ses innovations musicales en Jamaïque ouvrent la brèche à un nouveau venu, Blue Beatblue beat melodisc qui lui-même laissera sa place, par la force des choses, à Fabfab melodisc quelques années plus tard : bizarrement, ce label avait été lancé avec de la musique Pop avec entre autre un EP consacré à la bande son de la série TV Thunderbirdsthunderbirdso tandis qu'il voit l'une de ses sorties 45RPM entrer dans les Charts Soul avec le Hold Me Tight du Maximum Band... Bref. Trois noms pour autant de sous-labels de Melodisc qui ne sont en fait que les géants au milieu de la dizaine de subdivisions qui y sont centrées sur la musique jamaïcaine. Autant dire qu'on a là une sacrée mine d'or ; sacré fouillis aussi, l'entreprise étant réputée pour la classification peu soignée de ses sorties. Compartimentage des genres non respecté -on a du mal à imaginer que ce fut pour favoriser la sérendipité!-, disques mal ou non crédités, mal datés, numéros de sortie absents -c'est apparemment le cas systématique du "13"-, inexpliqués voire classés dans une division autre que sur le label où ils sont apposés ou même encore doublés... Autant de griefs que les spécialistes et autres collectionneurs n'ont pas manqué de souligner, sujets qu'ils ont dût être à plus d'une mauvaise surprise dans leur quête.


Quoi qu'il en soit, et pour essayer d'en rendre compte au mieux et en prenant déjà le risque d'arriver à une longueur de page rédhibitoire à sa lecture, les références ont commencé avec un préfixe "45" suivi de quatre chiffres partant des alentours de 1000 pour les 78RPM jusqu'en 1956, année où les 45RPM prennent la relève avec ce même système jusqu'en 1960 où le préfixe "MEL" -parfois "M"- suivi des quatre chiffres qui reprennent le comptage au numéro où le préfixe "45" avait laissé sa place... Capicce? Et ce jusqu'en 1969. Mais attention : ce référencement comprend aussi une partie des disques sortis sur Kalypso en 78 et 45RPM tandis qu'un bon nombre de Calypsos sortis sur Melodisc ont eu recours à la référence "CAL" en partant de 1... Et puis il y a les EP qui sont tout simplement référencés "EPM". Les 33RPM? De 1959 à 1973, tous genres et sous-labels confondus -en prenant par ailleurs en compte que les sous-labels ont parfois leur propre référencement pour d'autres produits-, la maison mère en aurait sorti une quarantaine aux préfixes aussi divers que "MLP", "MLPBS" et "MS", ce dernier étant heureusement identifiable puisqu'il numérote les albums et productions de Prince Buster à partir de 1967. Mais restons-en là, l'étape est certes obligatoire mais ces chiffres ne représentent rien de très logique au final... Le parcours de l'homme qui comptait tout ça est autrement plus intéressant!


Emil Shallit & the rise of jamaican music.

Emil Shallit était un juif originaire d'Europe centrale ayant acquis la nationalité américaine après avoir échappé aux camps de concentration nazis. Comment et pourquoi il se lance dans l'industrie du disque après la guerre reste difficile à expliquer, certains témoignages n'hésitant pas à affirmer que le commerce était plus sa passion que la musique en elle-même. Quant à sa judaïté et celle d'autres personnages auxquels il a eu affaire, difficile là aussi d'avancer quoi que ce soit même si cette condition peut tenter telle ou telle explication. Comment, par exemple, il est entré en rapport avec Stanley Beresford Brandon Motta, businessman jamaïcain d'origine juive sépharade -soit issu de la péninsule ibérique, comme l'indique son nom-...


C'est en fait par l'entremise de Bertie King, musicien de Jazz jamaïcain établi à Londres depuis 1935, qui recevait les acétates de Mento et Calypso enregistrés en Jamaïque par Motta et les faisait presser avant de renvoyer le produit final en Jamaïque où il était destiné à la vente. Fin 1951, quand King décide de rentrer dans l'île aux milles sources, c'est alors Emil Shallit qui prend la relève. Et c'est certainement par la même occasion qu'il publie cette musique sur son propre label, Melodisc reprenant les sorties 78Tours de MRSMRS... La suite logique nous révèle le tempérament aventureux de Shallit : ayant rapidement pris conscience du potentiel Calypso en UK où il crée sa subdivision Kalypsokalypso melodisc et n'hésitant pas à se rendre en Jamaïque, il y signe Stanley Chin vers 1954, reprenant donc partie du catalogue Chin'schins. En 1958, c'est avec Ken Khouri qu'il deale. Ce dernier s'étant procuré les services de Graeme Goodall pour monter le studio d'enregistrement Federal, il lui faut maintenant entrer de plein pied dans l'industrie musicale, en commençant par celle de l'île ; Kalypsokalypso ja pendant jamaïcain de Kalypso UKkalypso melodisc est alors monté. L'année suivante, c'est avec Dada Tuari que Shallit fait affaire en prenant sous licence ses productions Cariboucaribou, sans omettre au passage des coopérations avec Simeon L. Smith et son label Hi Litehi lite, associés en affaires avec un certain Duke Reid qui est donc aussi de la partie. Ajoutons au tableau d'autres incontournables de l'île, tels Lyndon Pottinger et son label S. E. P.sep et Clement Dodd, et il devient encore plus aisé de saisir le virage pris par Melodisc au début des années 1960. Emil Shallit est partout, honnête et mieux placé que quiconque pour saisir le potentiel musical jamaïcain grâce au réseau qu'il s'est constitué.


Les liens noués sur place avec la plupart des acteurs du Calypso de la colonie anglaise n'ont pu qu'amener notre homme d'affaire à prendre connaissance des essais locaux en matière de R&B ou Jamaican Boogie. D'ailleurs, fin 1959-début 1960, Kalypso se fait le réceptacle à l'un des premiers succès du genre, Aitken's Boogieaitken's boogie kalypso uk. Courant 1960 : récidive, toujours avec Laurel Aitken qui a pour le coup enregistré pour Chris Blackwell et son premier label, R&Br&b ja : Boogie In My Bones reste 11 semaines à la première place des ventes jamaïcaines et est par ricochet publié sur Kalypso et Starlitestarlite, label d'un certain Carlo Krahmer, correspondant de Blackwell en UK. Si ce titre est celui qui permet à Laurel Aitken d'aller faire fructifier son talent directement en Angleterre, il est aussi de ceux, avec son son particulier et son succès, qui donnent l'idée à Siggy Jackson, partenaire d'Emil Shallit et en charge des affaires londoniennes depuis 1953, de créer le sous-label Blue Beat qui n'en déplaise au lecteur méritera un article à lui tout seul. C'est désormais là que seront publiés les Boogie, à commencer par Boogie Rock, une production Dada Tuari publiée en Jamaïque sur le label Downbeatdownbeat. L'année suivante, en 1961, c'est Dice qui est créé dans la même optique, les deux sous-labels profitant à la fois du boom créatif jamaïcain et de l'intérêt qu'il suscite dans la future ancienne métropole... Il est par ailleurs intéressant de constater qu'Emil Shallit ne s'est pas contenté de ce bon échange de procédés. Il avait déjà produit des Jazz et des Calypso dans la grisaille londonienne ; l'expérience ne l'a pas échaudé puisqu'il la renouvelle à partir de 1960, précisément avec des artistes "Boogie" comme Laurel Aitken, Girl Satchmo, Owen Gray ou Denzil Denis -futur co-fondateur de Rio-, exportant une partie de ses productions à la Jamaïque où elles sont publiées sur le label de Laurel Aitken, Starlinestarline. En 1962, c'est au tour d'un certain nombre de productions anglaises du trompettiste Cecil "Sonny" Bradshaw d'être sorties sur la nouvelle et éphémère subdivision Chekchek en UK comme en Jamaïque avec en partie un référencement Blue Beat. Le cas des travaux Dee Dunkley qui produisait entre autres Theophilius Beckford depuis 1961, est un peu différent. En effet, une série de titre parus aux West Indies sur Dee'sdee s en 1962 porte le préfixe de Blue Beat sans pour autant avoir été systématiquement distribué en UK...


Faut-il le préciser, c'est Blue Beat qui assista à la naissance du Ska, voire l'assista, c'est selon... 5 ans plus tard, en 1966, Fab est créé à son tour et prend peu à peu la relève de son aîné, et ce jusqu'à la mort d'Emil Shallit en 1982. On ne peut créditer ce dernier de grandes innovations durant cette période, mais il n'est certainement pas resté sans rien faire lors du Ska Revival UK au début des années 1980. L'épopée de cette marque ayant déjà été raisonnablement évoquée, il ne reste grosso-modo plus qu'à citer le label Prince Busterprince buster uk pour avoir un tableau de famille quasi-complet. Ce dernier qui reprend tous les attributs de son homologue JAprince buster ja, est né en 1970, alors que l'essentiel du succès de Cecil Campbell, l'artiste et producteur auquel il est dédié, se conjugue déjà en grande partie à l'imparfait. Peu importe : Shallit et Prince Buster semblent avoir été de grands amis, et ce label est à coup sûr le résultat logique des services rendus par le second au premier pendant les années 1960.


Une grosse trentaine d'années branché sur la musique jamaïcaine, participant activement et sans relâche à son développement et à sa promotion, montrant la voie d'une industrie du disque à moyenne ou grande échelle possible pour un phénomène musical aux visages multiples qui n'avait au mieux que des prétentions locales à ses balbutiements. Tel fut l'apport de Mister Shallit. Peu de faits ou d'anecdotes ont été isolés dans les ouvrages qui lui consacrent des passages. L'homme devait être d'un naturel sobre et mystérieux. De quoi alimenter des théories sur son possible rôle d'agent au service des USA en territoire nazi durant la seconde guerre mondiale... Selon d'autres témoignages, conscient de la dangerosité des lieux qu'il arpentait, il allait signer ses producteurs jamaïcains dans le ghetto de Kingston portant pour tout bagage une valise sur laquelle était marqué : "Danger : Explosifs dangereux"! C'est une note finale, mais ç'aurait aussi pu être une formidable introduction à l'histoire de notre pionnier du Reggae... [¿No es, Manu?]



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depuis le 28/08/2011.



Une sélection Melodisc :

Pas de sélection pour ce coup-ci! Plutôt voir du côté de chez Blue Beat.



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