FABulous Greatest Hits / Prince Buster. - Fab MS 1, 1968 [rééd. multiples, Fab, 1982. - Prince Buster, 90's, 2000's].

FABulous Greatest Hits - Prince Buster

prince buster fabulous greatest hitsParmi les pionniers de la musique jamaïcaine, il fallait bien que je finisse par m'attaquer à ce titan qu'est Monsieur Cecil Bustamente Campbell, chanteur et producteur que le lecteur remettra peut-être mieux entant que Prince Buster. Une nouvelle occasion de prendre rendez-vous avec le tapis au vu de son immense activité jonchée de hits et autres knock outs! Mais on n'a rien sans rien, et c'est en prenant un minimum de précautions que j'ai extrait ce best of de sa discographie bien fournie -y compris au format 33RPM!- pour tenter de fausser compagnie à l'apathie et la torpeur qui accablent cette section depuis maintenant quelque mois déjà... Ce sera donc un round tout en Ska et Rocksteady plus ou moins classiques, pour ne pas utiliser ce néologisme de plus en plus en vogue qu'est "Ska Steady", qui servira de ring à cette -première?- approche, qui je l'espère, ne se soldera pas par un KO... Les angles d'attaque possibles pour aborder cet ancien boxeur né très précisément à Kingston Orange Street en 1938 sont bien évidemment multiples. Et la stratégie à adopter ici est implicitement donnée par le choix de l'album chroniqué. Des assauts frontaux avec recours systématiques aux grands succès de la voix du peuple tout en lui tournant méthodiquement autour pour mieux cerner comment Prince Buster, icône musicale jamaïcaine, s'offre aussi très rapidement le titre d'icône d'une certaine jeunesse anglaise. Et puis, je ne vais pas m'en cacher : la version cédé de ce "FABulous Greatest Hits" a énormément tournée sur mes platines à l'époque et grandement contribué à mon intérêt de plus en plus marqué pour les oldies jamaïcains. Comme à l'accoutumée désormais, c'est dans le contexte anglais que je vais tenter de l'apprivoiser. "Danse comme le papillon, pique comme l'abeille!"... Puisque telle est l'attitude dictée par cet opus : go!


J'ai introduit cette chronique avec de claires allusions au noble sport de pugiliste, une activité que Prince Buster ne semble pas avoir exercé durant de longues années, mais où il avait eu le temps de se faire sa petite réputation. Avec ça, son arrivée dans la scène musicale se fait aussi dans un élan d'opposition : les nuits de Kingston étaient durant la seconde partie des années 50 rythmées par les sound-systems de Tom The Great Sebastian, certifié en 1952, The Trojan de Reid et le plus récent Downbeat de Coxsone. C'est lorsque les hommes de main employés par le Duke détruisirent le sound de Tom Wong, dont Buster était un fan inconditionnel, qu'il décida d'accepter la proposition de Sir Dodd et de lui louer ses services. "Louer", bien sûr, est un terme un peu fort dans la mesure où le mauvais traitement salarial dont il faisait l'objet pour non seulement virer les violents trouble-fêtes à la solde du concurrent, mais aussi les quelques espions plus discrets qui tournaient autour de la platine pour noter les titres à succès, le firent rapidement déchanter. Non content d'avoir sauvé quelques soirées et même la vie du futur Lee "Scratch" Perry, il met les voiles, emmenant avec lui le DJ débauché à Tom The Great Sebastian par Dodd, Count Machuki, dont les griefs étaient similaires vis à vis de son nouveau patron. Son projet est simple : il s'agit de monter son propre sound-system. N'ayant cependant pas le sous pour aller aux USA remplir des mâles du R&B US qui faisait alors fureur, Prince Buster, encouragé par le batteur d'orchestre Jazz Arkland "Drumbago" Parks, s'engage alors dans la production : puisque le visa US ne lui serait fourni qu'en tant que coupeur de canne, autant tenter l'aventure musicale locale, quitte à faire de pâles copies du vrai son alors en vogue.


Little Honey est donc le premier titre qu'il sort, accompagné de Drumbago à la batterie, "Jah" Jerry Haynes à la guitare, Stanley "Ribs" Notice au sax ténor et un certain Rico Rodriguez au trombone. S'ensuivent une trentaine de titres enregistrés tout au long de l'année 1959, lot qui voit sortir au tout début de 1960 leur premier gros Hit : Oh CarolinaOh Carolina - folkes brothers buster wild bells des Folkes Brothers. Ce titre est tout un symbole, depuis sa conception, en rupture totale avec les canons musicaux d'une époque où Chris Blackwell s'essaie à exporter le Boogie de Laurel Aitken et autre Owen Gray, en passant par sa production, qui ne se déroule pas sans heurts, et jusqu'à sa distribution... Outre-Atlantique. En effet, le choix fait par Prince Buster pour alimenter son sound-system baptisé The Voice Of The People fait des émules dans Kingston. Ce son, un R&B aux couleurs locales mâtiné de thèmes non moins locaux, plaît au public et n'est pas sans attirer l'attention de la concurrence. Ainsi, aussi bien Coxsone que Reid ont déjà essayé de débaucher les employés de C. Campbell pour obtenir ces sonorités. Mais le résultat n'est jamais satisfaisant, les musiciens invoquant l'absence de l'inspiration de Prince Buster à leur tête. Duke Reid parvient tout de même à obtenir quelques-uns de ses titres, qu'il ne crédite jamais en soirée, moyennant le financement de quelques sessions. Mais cette quête est vraiment faite au nom de la concurrence. Dans la réalité, Reid et Coxsone qualifient sa musique de Buster's little boom boom beat : c'est dire s'ils l'aiment ; en fait, ils enragent. Et lorsque Buster, Count Ossie, Rico Rodriguez, Ribs et Owen Gray se présentent à la JBC pour enregistrer le futur tube des Folkes Brothers, Reid n'a rien trouvé de mieux que de surenchérir pour louer les locaux. Pour éviter la confrontation, l'ingénieur local, Cecil Watts, emmène Buster et ses acolytes à l'étage où ils pondent leur chef d'oeuvre. Le succès est fulgurant, The Voice Of The People annihile complètement les prestations de ses deux concurrents tout en faisant lumière toute sur ces rastas que la Jamaïque voulait à tout prix cacher... Par la suite, Reid et Dodd essaieront bien d'enrôler les percussionnistes d'Ossie, mais ces derniers choisiront de rester dans leurs collines de Wareika. Enfin, ce titre est celui qui met en évidence le travail de Prince Buster en Angleterre. Dans les nuits londoniennes, c'est Count Suckle, un immigré jamaïcain, qui l'a popularisé en le passant dans les soirées qu'il y animait. Dans les bacs, c'est Emil Shallit, alors propriétaire d'un label indépendant distribuant y compris de la musique jamaïcaine depuis de longues années déjà, Melodisc, qui en fait son beurre après avoir a acheté la licence du morceau à un imposteur, le publiant sur Blue BeatOh Carolina - folkes brothers blue beat. Abattu par rien au monde, Prince Buster qui a entre-temps ouvert son magasin Record Shack et commencé à investir dans la location de juke-boxes, ne s'en laisse pas conter et défend son bon droit, arrivant à un accord avec Shallit. Les bases de son succès en UK sont désormais posées, et nous pouvons commencer à nous rapprocher de notre "FABulous Greatest Hits".


Il aurait été bienvenu de reprendre le parcours de Prince Buster pendant les deux ou trois années qui suivent, comptant notamment sa collaboration avec Derrick Morgan ainsi que sa grande contribution à la mise au point du Ska, avec des titres tels que They Got To Goprince buster they got to go, mais puisque j'ai déjà fait allusion à tout ceci dans la chronique consacrée à "Forward March!", c'est à la "carrière européenne" de notre artiste du jour que l'on va s'attacher désormais. Une fois le deal passé avec Emil Shallit, Buster devient le principal pourvoyeur du label Blue Beat, soit en son nom propre, soit entant que producteur. Il est donc amené à se produire en UK dès fin 1963. L'occasion pour lui de découvrir son auditoire. Son témoignage à Andrew Perry, pour le compte de Mojo, devrait suffire à poser le tableau tant il est éloquent : "en 1964, j'étais en tournée au Royaume-Uni et je pensais chanter pour un auditoire essentiellement noir ; je voulais qu'on s'arrête dans un snack, tard dans la nuit, pour boire un thé, et il y'avait là deux ou trois jeunes anglais. Les autres, dans la voiture, ne voulaient pas s'arrêter pour éviter de quelconques problèmes, mais je suis quelqu'un de tranquille et je ne comprenais pas pourquoi je ne pourrais aller dans un endroit ou un autre. J'étais dehors, et les gars sont arrivés et m'ont regardé de bas en haut et de haut en bas avant de me dire que je devais être OK parce que j'étais habillé et chaussé comme eux. Et lorsque j'ai continué la tournée, il y'avait toujours ce type de jeunes, à tous les shows, là, devant moi. Des jeunes blancs. Je les ai vus pour la première fois à Londres, et ensuite à Birmingham, Manchester, Nottingham, partout où je passais, ils étaient là et faisaient en sorte que tout se déroule pour le mieux en restant autour de moi comme des gardes du corps. Ils se déplaçaient même aux côtés de ma voiture sur leurs scooters, comme si j'étais un roi. D'autres jeunes blancs se sont identifiés à moi parce qu'ils étaient des rebelles et qu'ils voyaient que j'étais un rebelle. Et bien entendu, beaucoup aimaient la musique". C'est un fait : les jeunes Mods anglais sont alors fans de sa musique. L'ironie du sort a donc voulu que le style né d'une nécessaire émancipation musicale noire et jamaïcaine serve de bande son au quotidien des jeunes blancs de l'ancienne métropole! Ajoutons au passage que Prince Buster, fidèle à sa frontalité, embaucha une bande de Teddy Boys pour assurer sa sécurité durant les concerts... En tous cas, son succès est encore confirmé la même année, avec un passage à l'émission TV Ready Steady Go et son invitation à représenter la Jamaïque à l'Exposition Universelle de New-York où il interprète Wash Washprince buster wash wash blue beat, une réinterprétation pas évidente du That Lucky Old Sun de Frankie Laine -1949- fraîchement enregistrée à Londres avec Georgie Fame.


En rassemblant des titres parus entre 1964 et 1968, "FABulous Greatest Hits" résume le succès de Prince Buster dans la période qui suit. Mieux : en mélangeant sur la même galette les styles Ska et Rocksteady, il rend compte de la capacité de Buster à évoluer dans un autre registre que celui qui lui a donné la célébrité. Ce qui est plus difficile à démêler, c'est le pourquoi d'un tel opus ; en effet, l'essentiel des titres qui y apparaissent sont sortis sur Blue Beat... Certes, à partir de 1966, Fab est peu à peu devenu son successeur après un départ plutôt Pop, mais un chartbuster tel qu'Al Caponeprince al capone prince buster voice of the people, qui entra dans le Top 20 UK en 1965, le fait bel et bien sur Blue Beatprince buster al capone blue beat, et ce avant même que Fab n'existe. D'ailleurs, il s'agit de faire bien attention à l'achat des 45RPM qui portent ce titre et bien d'autres chez Melodisc : en effet, le pressage au macaron Fabprince buster al capone blue beat n'est pas un premier pressage, l'année étant notifiée dessus n'étant pas celle de sortie du disque mais celle du titre. Quant aux versions sorties sur Blue Beat vertprince buster al capone blue beat -qui porte à la différence des autres semble-t-il, la mention under licence from Melodisc music-, orangeprince buster al capone blue beat et autres couleursprince buster al capone blue beat, voire polices de caractèreprince buster al capone blue beat, ce ne sont ni plus ni moins que des repressages datant de la fin des années 70 - début 80s, Two Tone Era oblige! Les historiens du label, comme on devrait le voir plus tard dans un autre article, déplorent l'absence d'une véritable organisation chez Melodisc et la présence d'un véritable capharnaüm. Heureusement, ça n'a en rien empêché Fab et Melodisc de faire une très belle sélection où j'ai véritablement du mal à établir des préférences, même si ces dernières iraient pour le coup au titres plus posés tels l'excellent instrumental Freezing Up Orange Street, un titre vraiment léger qui contraste avec le thème qu'il semble évoquer tellement on se voit déambuler dans Orange Street sans l'ombre d'un souci ; quant à Free Loveprince buster free love, je le trouve carrément fabuleux et bien suivi par Julieprince buster julie, plus frivole et dont la mélodie à deux sous n'est pas sans m'évoquer certaines anciennes secondes parties de soirée le dimanche soir sur M6... En reprenant le Take It Easy de Hopeton Lewis, Prince Buster décrit en fait un concert parisien avant d'infliger 400 ans de prison à trois Rudeboys dans Judge Dreadprince buster judge dread -qui deviendra par la suite le nom de scène de l'un de ses gardes du corps. Too Hotprince buster too hot nous remet une pression indescriptible à la Free Love, la température ne cesse en effet de monter avec le rythme donné par l'insatiable clavier et coupé court par le sublime solo de trompette! La suite et tout aussi jouissive et n'est pas en reste : Ghost Dance [Tribute To The Toughest]prince buster ghost dance semble être un hommage à Muhamed Ali -on en parlait plus haut! Comment ça, non?- rencontré à Londres en 1964 et qui reviendra le voir à Kingston en 1973 ; le macho Ten Commandments est un autre UK'Hit -après la Jamaïque, pour sûr, et... Les USA!- de 1965 ; Barrister Pardonprince buster barrister pardon... Et Earthquake ainsi que Texas Hold-Upprince buster texas hold up tout au début bien entendu... Si cette compilation n'a pas galvaudé son nom de "fabulous", c'est bien sur le contenu qui est 100% fabuleux! Bien que Prince Buster n'ait pas été avarre en création, on ne pourra pas lui reprocher de faire ce qui se fait de mieux dans ce qu'il entreprend, assimilant sans sourciller les nouvelles évolutions de la musique jamaïcaine tout en répondant aux attentes de son public européen, et bien plus puisqu'après sa tournée qui l'avait emmené de l'Angleterre à l'Espagne en passant par la France en 1964, 1967 fut l'occasion d'une série de concerts aux Etats-Unis. Prince Buster hérita ainsi du titre de King of Blue Beat, un vocable qui fit longtemps référence à la musique jamaïcaine de ce début d'années soixante en UK, dut égard au statut du label et du rôle de notre artiste en son sein ; et ce sera aussi le titre d'un album liveprince buster king of blue beat sorti cette même année. Au final, ce n'est donc pas une surprise d'apprendre par John Jack, qui a distribué ce "FABulous Greatest Hits" lors de son repressage en 1982, que c'est un opus qui a certainement vendu de quoi faire un disque d'or. Mais Shallit est mort cette même année et n'en faisait d'ailleurs pas une préoccupation.


Ceci dit... On pourra reprocher à cette chronique, outre sa longueur, le fait de ne pas nommer bon nombre d'autres joyaux de Prince Buster, mais le fait est que cette compilation et si éloquente pour les années qu'elle couvre qu'il m'a semblé inutile d'en rajouter sur le monsieur et son immense talent. Peut-être faut-il nommer au passage The Outlawprince buster the outlaw fab, sorti l'année suivante et reprenant tout un tas d'autres succès Ska de Prince Buster, histoire de bien profiter de l'énorme expectative qui est en train de naître vis à vis de la musique jamaïcaine en UK? Puisque c'est fait, il servira aussi à appuyer là où ça fait mal : un disque Fab numéroté chez Blue Beat... De quoi terminer et reprendre le constat dressé quant à la mauvaise organisation des classements sur les sous-labels de Melodisc : la différence entre le pressage de 1968 et celui de 1982 est assez difficile à déceler, ce dont profitent bien sûr les vendeurs. La texture du macaron le plus ancien serait de facture assez médiocre, celui de 1982 étant un joli papier. Par ailleurs, la police de caractère de l'original devrait être la même que sur la pochette, le tout sur fond bleu clair ou jauneprince buster. Elle reste finalement assez difficile à établir puisque le macaron Fab de 1969prince buster est déjà comme celui qui paraîtra en 1982, papier compris. Quant aux pochettes bleuesprince buster voire vertesprince buster (???), elles ne sont en aucun cas des pochettes originales. Bref, c'est le grand flou artistique!


Tracklist: A: Earthquake (JA : Prince Buster Pre ; UK : Fab 041-B1, 1968) - Texas Hold-Up - Freezing Up Orange Street - Free Love (JA : Prince Buster Pre ; UK : Fab 038-A, 1967) - Julie (JA : Prince Buster Pre ; UK : Fab 037-A, 1968) - Take It Easy B: Judge Dread (JA : Prince Buster Pre ; UK : Blue Beat BB 387-A, 1967) - Too Hot (JA : Olive Blossom ; UK : Blue Beat BB 390-B, 1967) - Ghost Dance (JA : Prince Buster ; UK : Blue Beat 389-B, 1967) - Ten Commandments (JA : Prince Buster, 1965, Intensified Dirt, 1965 ; UK : Fab 065-A, 1968) - Al Capone (JA : Prince Buster ; UK : Blue Beat BB 324-A, 1965) - Barrister Pardon (JA : Olive Blossom ; UK : Blue Beat BB 391-B, 1967).




[15/08/2011]



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