Blue Beat / Emil Shallit. - UK, 1960-1972.

Blue Beat

blue beatOn l'a vu en survolant l'action d'Emil Shallit auprès de la musique jamaïcaine : Blue Beat est né en 1960, à la faveur des ventes générées jusque-là par les sons West Indies à Londres, du style alors en vogue dans la colonie et sous l'impulsion d'un Siggy Jackson qui semble-t-il en a suggéré l'appellation. C'était en effet le qualificatif qui avait été accolé à cette imitation heureuse du R&B US à Londres. C'est aussi celui qui finit par désigner tout court la musique jamaïcaine Outre-Manche, et ce quelle que soit son évolution, jusqu'en 1966 : mais dans ce cas, c'est carrément notre sous-label Melodisc qui est en cause. C'est dire si la différenciation décidée d'avec Kalypso fut un coup bien senti!


Etonnamment, le référencement au sein de Blue Beat n'est pas aussi anarchique que dans l'ensemble des sorties de Melodisc. Ca commence le plus simplement du monde à "BB 001" avec le Boogie Rockboogie rock blue beat de Laurel Aitken, évoluant avec plus ou moins de bonheur -comprendre doublons, trous, mauvais crédits...- jusqu'au-delà de "BB 400" en... 1972, même si en réalité le label était grosso-modo à l'arrêt depuis 1967 et le passage de flambeau à Fabfab melodisc. Le tout au service de près de 800 titres publiés et fournis par l'essentiel des producteurs jamaïcains de la première heure : on y compte donc Laurel Aitken, Clement Coxsone Dodd, Duke Reid, Edward Seaga, Byron Lee, mais aussi Derrick Harriott, Lyndon Pottinger, Dada Tuari ou Vincent Chin entre autres, soit des anciens initialement bien spécialisés dans le Calypso ayant su s'adapter aux circonstances, plus quelques nouvelle têtes. Le premier gros succès du label est une production de Simeon L. Smith, en 1960 : Worried About You du duo Keith [Stewart] & Enid [Cumberland] et assez rapidement, Blue Beat atteint un rythme de croisière d'une sortie par semaine. Jusqu'en 1961 où sort Oh Caroline des Folkes Brothers, titre qui sort complètement des canons en cours avec ses percussions Nyahbingi. C'est via ce dernier qu'Emil Shallit fait la connaissance de Prince Buster. En effet, il semble que notre homme d'affaire américain soit tombé sur ce morceau au cours de l'une des soirées londoniennes animées par Count Suckle. Emigré jamaïcain, ce dernier avait passé un marché avec Prince Buster, rencontré au cours des chaudes soirées de Kingston : il était sensé avoir l'exclusivité des productions de Cecil Campbell pour l'Angleterre. Autant dire que lorsqu'il vit ce disque Blue Beat dans les bacs, il s'empressa de le rapporter à son partenaire. Prince Buster n'ayant rien à se reprocher, il appela donc Shallit qui lui expliqua avoir acheté la licence de Oh Caroline à ce qui s'avérait être un imposteur, tout en lui proposant de le signer pour la suite de ses travaux.


Plus de 350 titres! Sur les près de 800 publiés par le macaron bleu sombre lettré d'argent, c'est la part que lui a fournie Prince Buster, avec plus de 150 titres entant qu'artiste! Si l'on prend en compte l'ensemble de sa participation à Melodisc et ses autres sous-labels, ce chiffre dépasse allègrement les 500... Un rapport phénoménal qui vaut à notre artiste plusieurs qualificatifs. Celui de "one man record company" tant sa contribution à Blue Beat / Melodisc est prépondérante, assurant à l'entreprise un grand nombre de succès, y compris des innovations musicales dont il est l'un des principaux instigateurs. Oh Caroline en est un exemple, mais celui qui engendre le plus de descendance est sans aucun doute They Got To Go en 1962, un titre considéré comme l'un des premiers exemples du Ska : rythmique syncopée, guitare tranchante, une ère nouvelle est grande ouverte... Sur bien des points d'ailleurs puisque c'est aussi l'année où la Jamaïque obtient son indépendance. Les contrats d'exclusivité liant hommes d'affaires anglais et jamaïcains sont alors déclarés obsolètes par le nouveau gouvernement. Si Derrick Morgan est de ceux qui décident de se passer des services de Shallit, Prince Buster, s'estimant au bon endroit, pérénnise leur collaboration qui n'aura de cesse jusqu'à la mort du juif américain. Et puis bien sûr, il y a cet autre titre qui couronnera Prince Buster, celui de King of Blue Beat. C'est là un honneur aux tiroirs multiples : ses bon titres et ses succès en Angleterre le lui valent d'abord au sein du label, qui finit par sortir un 33RPM éponyme, en 1967. Mais plus généralement, il règne sur le nouveau son importé de Jamaïque, il en est le plus grand représentant dès ses premières années, alors que dès 1963 la marque est aussi déposée sur toute une ligne de vêtements et de produits dérivés au milieu desquels la jeunesse britannique catalysée dans le jeune mouvement Mod vient assouvir ses élans consuméristes.


Blue Beat a donc laissé son empreinte sur ces premières années de musique strictement jamaïcaine en Europe. Et ça n'est pas la concurrence naissante qui peut le démentir. Jusqu'à l'indépendance, Chris Blackwell avait commencé son activité de production dans l'île, montant son label R&Br&b ja et une ébauche d'Islandisland distribués en UK par le Starlitestarlite de Carlo Krahmer qui était aussi fourni par quelques autres producteurs, tel Edward Seaga, mais tout en se gardant bien de s'occuper de production. Il ne fait donc pas long feu. A l'inverse, Sonny Roberts et son Planetoneplanetone -ou Planet One, comme vous préférez- essaie de faire son trou à base de productions UK, auxquelles participe entre autre le tromboniste Rico Rodriguez. L'effort est rapidement écourté sur la paire d'année 1962-1963, et ce malgré l'association matérielle que lui avait proposée Chris Blackwell, fraîchement revenu à Londres où il survit tant bien que mal aidé par David Betteridge et son artiste phare, Jackie Edwards. Mais tandis que Blue Beat voit les ventes de plusieurs de ses singles dépasser la barre des 10 000 exemplaires et que Siggy Jackson anime désormais régulièrement des soirée Blue Beat au Marquee, cet effort a au moins le mérite de poser des bases profitables à l'émergence d'Islandisland, de Black Swanblack-swan et par la suite de Trojantrojan avec le concours de Lee Gopthal. Ceci dit, il ne faut pas oublier dans cette rapide ébauche le rôle de Rita & Benny Izons aka King, couple d'immigrants juifs qui lancèrent dans la période 1963-1967 pas moins de 4 labels dédiés entièrement ou en partie au Ska au sein de leur entreprise R&B Discs -pour Rita & Benny!- : R&Br&b donc (1963-1965), Kingking (1964), Port-O-Jamport o jam en collaboration avec Coxsone Dodd en 1964 et surtout Ska Beatska beat, de 1965 à 1967, qui avoisine les 300 titres publiés ; le tout sans l'ombre d'une production maison. Enfin, si le tableau n'est pas complet, il n'en demeure pas moins utile de mentionner l'apport au marché du disque anglais de sociétés d'import/export telles que Peckings qui se contente d'acheter un produit fini en Jamaïque pour le distribuer ensuite Outre-Manche. Autant dire que sur un marché en plein essor mais néanmoins restreint, la concurrence était féroce et à tous les niveaux, qu'il s'agisse de prendre un producteur jamaïcain sous son aile pour sa distribution en Angleterre aussi bien que pour vendre le matériel enregistré. Et sur ces points, Blue Beat, bien aidé par l'expérience engrangée au cours de la décennie précédente par ses dirigeants, gagne sur quasiment toute la ligne, avant de laisser sa place à Fab. Mais c'est déjà une autre ère et une autre histoire.



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depuis le 28/08/2011.



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