Cette ITW commence à dater un peu puisque depuis sa sortie dans Rotten Eggs Smell Terrible, fin 2005/début 2006, pas moins de deux numéros nouvelle formule du Chéribibi sont sortis... Mais l'histoire du zine et de son principal instigateur ne sont pas exemptes d'intérêt et pourront toujours amener ceux qui ne le connaissent pas encore à le découvrir, quand ça ne révèlera pas quelques réponses aux dilemmes que quelques lecteurs plus ou moins anciens auraient entrevus... Voici donc les tirades de l'un des principaux acteurs de la scène Skinhead Reggae (qualificatif ô combien réducteur, mais faut bien commencer par quelque part!) hexagonale, pour le moins au format papier, et avec les appréciables autorisations du questionneur et du questionné: à vous de vous faire une idée...






Chéribibi, zine et auteur par REST

"Bon, pour moi Cheri-bibi c'est la série que je matais à la téloche en grignotant des choco rêve, j'ai jamais lu la prose de Gaston LEROUX mais je me souviens du générique killer du feuilleton... pourquoi ce nom, pour le bagne, les cheveux courts, les rayures ou?


cheribibi par restTrès bonne question Jean-Pierre (je peux t'appeler Jean-Pierre ?). Disons qu'en 98, au moment de réactiver le zine, je voulais en changer le précédent blaze qui ne me satisfaisait point (voir la p'tite histoire du zine plus loin). J'aurais voulu l'appeler Fantômas, étant fan des romans de SOUVESTRE et ALLAIN, mais comme tu le sais sans doute, c'était le nom du zine des skins de Jussieu qui, s'il n'existait plus, avait eu sa part de célébrité. Discutant de la chose avec mon dab, celui-ci me fit judicieusement remarquer que pour causer d'émeute urbaine (c'est un exemple) il est plus subtil de s'appeler «Tendresse» que «Kalash»... Et hop, illumination, «Chéri-Bibi» s'est immédiatement imposé dans ma tronche. Au-delà du personnage de Gaston LEROUX, j'aime bien le côté un peu «mystérieux», tendre, voire un peu pédé du blaze. Et puis «Chéri-Bibi » c'est un symbole populo du crâne rasé chez nous, assimilé aux bagnards de Cayenne. Le paternel m'appelait comme ça quand je me suis rasé le crâne. Et puis Chéri-Bibi c'est l'innocent à la sale gueule, le louchebem pris dans l'engrenage d'une «fatalitas» qui n'est qu'un complot d'aristos visant à l'accuser d'un meurtre qu'il n'a pas commis, l'équivalent franchouille de «Cockney kids are innocent» quoi. On n'est pas en England et, sans patriotisme aucun, on est des skins français avec une culture populaire française (ou assimilée), c'est en quelque sorte cette légitimité culturelle «de classe» qui fait de nous autre chose qu'une pâle copie de l'original. Je pense sincèrement que c'est la conscience de classe -dans son aspect culturel plutôt que proprement politique- qui a propagé la mouvance skin de part le monde. Les skins de 67-69 se sont approprié une identité jamaïcaine, elle-même venue des Caraïbes, d'Amérique et d'Afrique, et l'ont greffée à la leur. Les skins français, du moins ceux qui savent d'où ils viennent, ont fait pareil. Ceux qui sont comme ma pomme fans absolus du 1er LP des GARÇONS BOUCHERS, à la croisée de l'apache parigot et du skin de l'East End, devraient voir sans peine ce que je veux dire. Ça s'appelle le métissage et c'est super cool. On est tous des bâtards! Yeah!



Y'a pas très longtemps que j'ai découvert tes activités, tu peux nous causer des differents numéros (bientôt 15!) les sommaires, les formats, les points forts?


Disons que la numérotation des zines est un peu artificielle. Sans remonter jusqu'au 1er zine que j'ai bricolé quand j'avais 9 ans (avec tout d'même une itw de mon pote Manu, actuel chanteur du groupe Reggae Baobab, comme quoi, les voies du destin sont impénétrables contrairement à d'autres), on a fondé le zine au lycée avec deux potes (un anar, un coco et un feuj apolitique, tout pour plaire.) sous le titre de Cadavre Exquis . Les influences n'étaient pas musicales, c'était plutôt Dada et délires potaches. J'avais quand même eu le déclic grâce au zine que faisait un pote psycho du lycée, Ran-Tam-Plan, consacré à la scène R'n'R de l'époque, WAMPAS période Marc POLICE (RIP), WITCHES VALLEY, Tom BUZZ, etc. Il fait à présent le zine Peace Warrior consacré à la zique expérimentale. Bref, on a fait un n°0, puis 1, 2 et 3 entre 91 et 93, passant du format A5 au A4, de 50 à 200 exemplaires et de 3 à 2 rédacteurs, pis mézigo tout seul vu que je me tapais déjà tout le taf. T'y trouvais pas mal de trucs sur le ciné bis, la littérature populaire, l'illustration de SF des années 20-40, des conseils de sabotage en entreprise (testés par mézigue lors de mes tafs d'été), de la BD, un pochoir à découper, un roman-photo même, mais peu de musique. À ma décharge, public, faut dire que j'avais certes des goûts éclectiques, mais pas une thune. Du moins le peu d'éconocroc allait dans les concerts (WAMPAS, CRAMPS, LSD, TOY DOLLS, STRAY CATS, LKJ, HAPPY-DRIVERS et tous les concerts pas trop chers dans les squats, les bistrôts, à l' Espace Ornano ou au Farenheit , merci à eux). Donc à part les quelques skeuds offerts à Noël, ceux chourrés dans des boutiques aujourd'hui disparues et les incontournables K7 enregistrées chez les potes (de CRASS aux MILKSHAKES en passant par BLACK FLAG), pas vraiment moyen d'acquérir la culture musicale un tant soit peu exhaustive nécessaire à écrire sur la zique. En 94, à l'époque du SHARP Paris-Banlieue , j'ai sorti un n°4 sous le blaze de Wachbeuk (cherchez pas ça veut rien dire) pis j'ai arrêté. Ce n'est qu'en 97 que, m'incrustant dans l'aventure Unity Rockers, j'ai retrouvé le plaisir de faire un zine, axé musique et luttes sociales. Hélas, ou heureusement pour la suite, on m'a lourdé après le n°6 et à peine sortis du bar où avait eu lieu la compression de personnel, nous décidâmes, avec mon pote Fanfan qui fait les illustr', de remonter le zine, rebaptisé donc Chéribibi, le numérotant au n°7 1/2 pour faire chier UR (très bon zine qui a marqué son temps au demeurant). Mais je ne désespère pas de faire un n° spécial «Chéribibi de 5 à 7» pour boucher le trou (hum).cheribibi par rest Donc après ce n°7 1/2, «Chéribibi ou la joie de vivre» (avec une itw de Roddy MORENO, repiquée dans le mythique zine allemand Skin-Up , et une autre des potes de CIVIL AGRESSION) sorti un 1er avril 98, y'a eu le n°8, «Pas de bisous pour Chéribibi», avec les itws des RAGEOUS GRATOONS et de José JOURDAIN, un des premier activiste du Reggae en France (itw qui s'est poursuivie jusqu'au n°12), sorti le 1er mai  98, puis le n°9, «Chéribibi - Usage externe», à l'été 98 avec 8°6 CREW et SKATCATS et c'est là qu'ont commencé les pliages de ouf, on s'est beaucoup amusé avec Fanfan à en inventer à chaque fois de nouveaux, les plus tordus possible, et beaucoup moins marrés à plier chaque exemplaire à la main. C'est là aussi que j'ai arrêté d'interviewer des groupes «actuels», en gros des groupes dont l'actualité change énormément entre l'itw et sa parution, vu que SKATCATS avait splitté avant même la sortie du zine! À la rentrée 98 y'a eu le 10, un de mes préférés: «Du rififi pour Chéribibi» avec ma 1ère itw de «big guys», en l'occurrence LKJ que j'avais rencontré par l'intermédiaire de Dennis BOVELL (également interviouzé inside) qui a bossé longtemps avec l'ami José précité. Là je m'suis aperçu qu'il était tout à fait possible d'aborder tous ces types admirés qu'on a tendance, inconsciemment du moins, à considérer comme «intouchables». Le 24 décembre 98, à minuit, est sorti le n°11, «Chéribibi caliss' d'hostie!», sans itws excepté celui à épisode de José, mais avec un long CR de mon 1er trip au Québec. Puis début 99 le n°12, «Chéribibi 1999», avec une itw de Lynval GOLDING des SPECIALS et -date oblige- un historique du way of life Skinhead que je reprendrais quelques années après pour un dossier dans le magazine L'Affiche (dont toute l'équipe rédactionnelle se fera lourder par l'éditeur après la sortie du N°. il paraît que j'y suis pour rien). Après j'me suis tapé un second trip, d'un an cette fois, au Québec et j'en suis revenu avec les itws de Marcia GRIFFITHS, Ken BOOTHE, Marco de KLASSE KRIMINALE et le dessinateur barge Henriette VALIUM. Mais ce n'est qu'en 2001 qu'est sorti le n°13, «Chéribibi n'est pas gentil», format 33T avec les itws précitées en sus de celles à Dennis AL CAPONE, Derrick MORGAN, Alton ELLIS, Jean-Bernard POUY, la journaliste Hélène LEE, Gaz MAYALL des TROJANS, LONE RANGER, la créatrice du spectacle de marionnettes «Ginette Guirolle», l'accordéoniste Marc PERRONE, Lloyd BREVETT et Cedric BROOKS des SKATALITES pis un joli pochoir fait main. L'a hélas fallu attendre 2004 pour que sorte le n°14, «Chéribibi court toujours», avec Max ROMEO, notre regretté Laurel AITKEN, Charlie HARPER de UK SUBS, les BERUS, la suite de l'itw d'Héléne LEE, le JIM MURPLE MEMORIAL (une itw de l'inoubliable contrebassiste Fabrice, encore un pote envolé. chienne de mort!), BANDA BASSOTTI, Toots HIBBERT, le cinéaste inventeur du gore Mr H-G LEWIS, et plein d'aut' trucs. Pis là j'met la patte au nouveau N° qui sera peut-être sorti à l'heure où vous lirez ces lignes. ça va comme historique?



Le côté arty, dans le pliage, la tournure, le badge ... Ca vient d'où?


De chez moi. En fait, j'ai toujours été passionné par la mise en page et l'éclectisme éditorial, des contructivistes russes à Métal Hurlant en passant par Dada , les photomontages antifascistes de John HEARTFIELD ou le magazine Rock & BD des années 80 «Zoulou». Et je trouvais pas trop mon bonheur dans la prod' zinesque d'alors, même s'il y en avait, il y en a et il y en aura toujours qui forcent l'admiration à divers degrés. Il y avait des zines très drôles, tel Roger ou Les Glorgs Attaquent La Plage , mais sans une once de politique, une maquette bâclée et aucune info culturelle. Y'avait des graphzines super bien faits, tels Stronx ou Hopital Brut , mais sans politique ni infos culturelles; des zines politiques aux points de vue intéressants mais chiants à lire, sans 2nd degré et maquettés comme les ouvres de DIDEROT à La Pleiade ; des zines de zik ou de cinoche hyper-documentés mais sans. bref, t'as pigé. Donc de ce que je connaissais, à part quelques exceptions notables (le seul et unique n° de Rude Boy , l'excellentissime Titi Flambi ou Fiesta pour l'éclectisme musicale), je trouvais pas chez les différents dealers l'équivalent de zines anglais comme Ungawa ou Arnie (zine anarchopunk dont le seul équivalent français serait Kanaï ). De là l'envie de me faire ma propre bouffe, assaisonnée à mes goûts. Et force est de constater que mes goûts (et ceux de mes illustres collaborateurs) sont partagés par beaucoup puisque le zine rencontre un franc succès, y compris à ma grande surprise chez des gus n'ayant rien à voir avec l' underground punk-Ska. Et des fois c'est cocasse : une copine en a trouvée un exemplaire dans la salle d'attente de sa gynécologue ! Sinon, pour répondre à ta question précise, le badge du n°14 c'est un dessin de l'ami québecois VALIUM dont les délires graphiques sont trouvab' au Regard Moderne à Paname ou au Dernier Cri à Marseille.



En tout cas j'ai salué le pochoir de ton 13 avec "hmmmmmm time to get my gun" c'est quoi, c'est qui et le scotch d'emballage tu le choppes où ton putain de scotch ?


Le pochoir c'est le détournement d'un badge trouvé à Montréal, lui-même détournement d'une image 40's US. Le détourneur détourné quoi. Le moins drôle c'est que j'ai bombé les 300 ex. dans ma piaule. Mais au point où en sont mes poumons et la couche d'ozone hein. Quant au scotch imprimé que j'utilise pour emballer mes envois, «Résistance-Existence» et «Culture - Ohé partisans!», on l'utilise énormément en manifs (de chômistes surtout, mais aussi d'intermittents et autres travailleurs précaires, infirmières, etc). Il est fabriqué -comme les autocollants «Money world» et autres «United colors of pognon» qui parsèment généralement mes envois- par une asso locale à laquelle je participe plus ou moins régulièrement depuis le début des 90's et dont le credo est: «Qu'aux signes de la misère ne s'ajoute pas la misère des signes». Mais tout ceci est top-secret (je dis ça pour pas avoir à m'lancer dans une thèse sur la représentativité des mouvements de contestation de ces 15 dernières années vus à travers l'imagerie utilisée). En gros, contrairement à une démarche comme celle des «casseurs de pub» genre Adbuster , on ne veut pas tomber dans le piège de critiquer le commerce à l'aide des signes du commerce. Comme dirais l'autre: «On ne combat pas l'aliénation avec des moyens aliénés».



Et c'est quoi cette histoire de concours avec la photo de RODTSCHENKO avec MAÏAKOVSKI... C'est pas trop culture populaire ça, du moins c'est celle d'il y a 80 piges! T'as l'air assez à l'aise dans les productions et destins de ces artistes?


En fait dans l'n°12 y'avait un concours, «le vrai con cours» : il s'agissait de trouver qui était le rasé sur une tof excellente de MAÏAKOVSKI où, franchement, on dirais trop un Skinhead en star-co. Pour tout avouer, ça m'bidonnait de jouer sur les apparences puisque pas mal de gens ont cru qu'il s'agissait effectivement d'un skin. C'était pas pour faire une blague d'intello snobinard genre «Ouah tu connais pas Maïakovski pauv' naze?», mais encore une fois, pour établir des liens, pas forcément évidents, entre des choses que j'aime et des époques différentes et, je l'espère, aiguiser la curiosité de mes contemporains. Parce que la 1ère fois que j'ai vu une tof de MAÏAKOVSKI, je me suis dit «Putain c'est qui ce mec? Il a la classe!» et c'est uniquement suite à ça que j'ai plongé dans son ouvre. Quant à dire que c'est pas de la culture populaire, je sais pas ce qu'il te faut! Effectivement, on peut penser que c'est à présent dans les rangs de la middle-class qu'on disserte du poète, mais ça c'est parce qu'on se fait piquer sans rien faire notre héritage culturel. Et ce côté «culture de classe» est édulcoré, jusque dans l'enseignement universitaire. Je sais de quoi que j'cause pour m'être fait virer d'une école d'art parce que «il ne faut pas fustiger le bourgeois, c'est grâce à lui que l'artiste vit» dixit un prof, ancien soixante-huitard passé à l'ennemi. On se fait déposséder de notre patrimoine populaire universel et en échange on nous fait bouffer de la merde préfabriquée. Regarde ces cons de Charlie Hebdo et leur mépris de classe : pour eux le populo c'est TF1 , Intervilles , Star Academy . Alors ils fustigent le couillon du peuple avec le bob Ricard . Mais il faudrait rappeler à ces peigne-culs que c'est pas des prolos qui ont conçus la Star Ac' et qui dirigent la grille des programmes de TF1 que je sache! Se réapproprier les cultures populaires, qu'elles soient «étrangères» ou du patelin d'à côté, c'est pas faire du folklore, c'est retrouver une identité de classe noyée dans la dépolitisation de masse. C'est affirmer à la face des bourgeois «proprios de la culture» qu'on n'est pas des clébards qui se laissent refiler du Canigou par nos bons maîtres, on préfère se nourrir de nos propres productions, et elles sont plus nombreuses qu'on pourrait croire. Alors oui, MAÏAKOVSKI est, comme PREVERT, un poète populaire plus subversif qu'on voudrait nous le dire à l'école. La culture populaire est une culture par et pour le peuple, et quand je dis «le peuple», j'cause de l'immense majorité des humains entretenus dans la misère (culturelle, économique, etc) par une minorité qui pratique la lutte de classe au détriment de la nôtre. Bon, je vois qu'il y en a qui dorment déjà dans le fond. Question suivante.




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