Dandy : Your Musical Doctor - [Trojan] Down Town TTL 26, 1969.

Dandy : Your Musical Doctor

dandy your musical doctorAllé, j'me lance... Il est bel et bien temps de faire un petit tour du côté de cette diaspora jamaïcaine qui participa dès le tout début des années 1960 à donner ses lettres de noblesse au Reggae depuis la perfide Albion. Et c'est avec le parcours du cousin d'Ansel Collins, Robert Livingstone Thompson aka Dandy, Prince Of Darkness ou encore Bobby Thompson, que je m'y colle. L'album qui nous sert d'excuse aujourd'hui n'est absolument pas représentatif de sa riche carrière, mais il n'en marque pas moins le sommet à l'époque même ou le Reggae explosait à la face des sujets de Sa Majesté. Tout sauf un hasard tant le jeune Robert a suivi à la lettre les évolutions de la musique de son île d'origine, multipliant très tôt les rencontres qui font son réseau et saissisant par la même occasion les bonnes opportunités. Son talent faisant le reste...


Né en 1944 à Kingston, Jamaïque, notre futur Dandy rejoint ses parents à Londres en 1959 où il est sensé faire une formation dans la fabrication d'outillage. S'il semble qu'il l'ait menée à son terme et avec succès, il est très vite attiré par la musique. La cause, on peut sûrement la mettre sur le dos de la communauté qui n'est pas sans rester branchée à son île natale, des hommes d'affaire au nez creux tels qu'Emil Shallit n'ayant pas tardé à tenter de tirer profit de cette manne. En 1963, nous retrouvons donc notre futur Dandy répettant avec un certain Lloyd, ami pianiste, dans un immeuble "magique". En effet, au rez-de-chaussée se trouve une petite boutique de disques dirigée par Lee Gopthal pour lequel il finit par travailler, partageant son temps entre magasin, école et répétitions. Et quelque part dans ce même immeuble, un mélomane anonyme enregistre à leur insue les deux apprentis musiciens. Le morceau est vendu à Sonny Roberts qui le fait paraître sur son label Planetone ; mais In The Valley par les Keynotes & The Planets n'est pas le premier disque officiel du jeune Robert.


Il faut attendre 1964 pour y avoir droit. Lee Gopthal informe son employé qu'un australien dénommé Alan Crawford cherche à monter un label, Carnival, et qu'il voudrait pour le lancer un duo de jamaïcains. Le Ska est alors en vogue et il compte bien prendre le train en marche. Dandy se présente donc à l'audition, est engagé et enregistre What A Lifesugar n dandy what a life qui sort crédité à Sugar'N'Dandy : c'est qu'Alan Crawford tenait absolument à un duo. Dandy enregistra donc le lead dans un premier temps avant de se coller aux harmonies. Pas moins de 25 000 copies du 45RPM furent écoulées, les passages multiples sur Radio Caroline n'y étant pas étrangers. Par la suite, Roy Smith rejoint notre désormais chanteur puis est remplacé par Tito Simon auquel revient donc le pseudonyme "Sugar". Près de 20 titres sont enregistrés par les différentes moutures du duo jusqu'en 1965, et ils ont même les faveurs du 33RPM sorti par le label en 1964, "The Ska's The Limitthe ska s the limit page one records". Si Carnival périclite rapidement, les connaissances se font et les liens se créaient. C'est en effet à cette période que Dandy rencontre Vic Keary, l'ingénieur du son aux mannettes d'une majorité de Reggae londoniens durant la décennie qui suit. Et c'est donc par son entremise qu'il enregistre quelques titres pour Melodisc, une demi-douzaine pour Dice et près d'une dizaine pour Blue Beat entre 1964 et 1967.


C'est pourtant chez son concurent direct que Dandy finit par signer en 1967. Ska Beat, fondé en 1964 par Rita King, est alors la 3e écurie anglaise se consacrant à la musique jamaïcaine, derrière Melodisc et Island. Et c'est sur ce label que sort le fameux Rudy A Message To Yourudy a message to you, sur lequel officient Rico Rodriguez et George Lee aux cuivres. Les 30 000 copies vendues et une apparente place dans le Top 50 donnent certainement de bonnes raisons à la patronne de laisser le jeune talent voler de ses propres ailes au sein d'un sous-label dédié, Giant. Nous sommes en pleine époque Rocksteady et Dandy colle toujours parfaitement à l'actualité jamaïcaine : c'est aussi son son de prédilection, son qu'il met par ailleurs au service d'un certain nombre de Rudeboy songs où lui ou ses artistes s'emploient tour à tour à glorifier ou calmer les ardeurs de ce phénomène transposé depuis les rues de Kingston jusqu'à Londres : Junior Smith la joue calme sur Cool Down Your Tempercool down your temper tandis que Dandy lui-même glorifie les Rudeboys avec We Are Still Rudewe're still rude -"He will have to give us one thousand year and even that can't stop us"-, Sweet Ridesweet ride ou encore The Giant Marchthe giant march. Et ça n'est pas le LProcksteady with dandy sorti sur Giant en 1967 qui infirme ce penchant malgré une trompeuse sleeve. Près de 50 45RPM plus tard, durant l'été 1968, Dandy rejoint son ancien patron à Trojan, mais non sans avoir fait une escapade du côté de chez Jolly pour qui il enregistre la Rudeboy song Trouble In The Towntrouble in the town jolly dandy sous le pseudonyme de Bobby Thompson.


Propriétaire des locaux où Island s'était installé à Londres, Lee Gopthal s'est tout d'abord approché du business de Chris Blackwell en fondant Beat & Commercial qui devenait le distributeur de la marque précitée, laquelle chaperonnait encore Trojan durant le début de l'année 1968. Lorsque Island décide de lâcher l'affaire, Lee Gopthal fait donc passer Trojan au premier plan au sein de B&C tout en conservant les sous-labels créés récemment sur le modèle jamaïcain où une marque correspond à un producteur. C'est dans ce contexte qu'arrive Dandy : Trojan lui consacre coup sur coup 3 albums, "Let's Catch The Beatlet's catch the beat brother dan all stars", "Follow That Donkeyfollow that donkey brother dan all stars" et "Dandy Returnsdandy returns", qui inaugurent respectivement les séries TBL et TRL de ses sorties Long Play, avant de lui dédier le macaron Down Town. Comme elle s'étend jusqu'en 1973, ça ne donne pas la période la plus productive de notre homme à tout faire. Du point de vue qualitatif, la question étant subjective, inutile de se prononcer. Côté succès en revanche, les faits sont là : fin 1968, la première sortie du label chantée par lui-même, Move Your Mulemove your mule dandy, qui reprend un adage jamaïcain, est un hit qui n'annonce que du bon. Plus de 40 ans après, un simple coup d'œil sur le début de cette liste avoisinant les 120 45Tours suffit à ensevelir le moindre doute qui pouvait encore subsister sous une vague de sons tous plus obsédants les uns que les autres, que ce soit avec Dandy au chant -avec les sorties de Doctor Sure Shotdandy doctor sure shot début 1969, Reggae In Your Jeggaedandy reggae in your jeggae en février, de la cover du morceau de 1966 de James & Bobby Purify, I'm Your Puppetdandy i'm your puppett en mars- ou à la direction artistique -avec les reprises frénétiques du Red Red Winetony tribe red red wine de Neil Diamond de 1967 par Tony Tribe en avril qui reste dans les charts pas moins de 46 semaines tout en y rejoignant la 2e place en juillet, mois auquel Audrey Hall sort un You'll Lose A Good Thingaudrey you'll lose a good thing de Barbara Lynn, 1962- : un véritable départ en boulet de canon en ne tenant compte que de ces titres classiques repris dans maintes compilations de l'époque et par-là même capables d'évoquer notes et mélodies au moindre de ses aficionados. Sur place, Dandy contribua donc autant qu'il profita à l'engouement qu'allait susciter le Reggae auprès de la jeunesse anglaise. En 1974, à l'occasion d'une interview concédée au jeune mensuel Black Music, dont il fait la couv' du troisième numéroblack music magazine reggae special, préparant la voie à une déferlante marleysque & Roots Reggae, Livingstone paraît en avoir conscience : "j'ai fait Reggae In Your Jeggae en novembre 1968 et les Skinheads sont arrivés plus tard en 1969. Mais vous savez à quel point ces gamins aimaient retourner en arrière et cherchaient des choses Reggae plus anciennes. C'est ce qui s'est passé et ils ont juste aimé ce disque en particulier. Je ne l'ai pas sorti pour en faire un disque "skinhead"". Il assume ainsi que vendre 15 000 copies d'un disque n'était pas un but, mais plutôt 250 000 et plus, à une époque où il tente une réorientation artistique tout en critiquant le cloisonnement dû au système de vente de Trojan / B&C qui lui coûta une place dans les charts pour son Raining In My Heartdandy raining in my heart -pas une reprise de Buddy Holly, 1959- qui vendit plus de 130 000 copies en février 1970 sans pour autant entrer dans les classements : l'essentiel des ventes fut réalisé en magasins spécialisés déconnectés du réseau référencé... Ces propos peuvent donc partiellement expliquer la production du Skinhead A Message To Youdesmond riley skinhead a message to you de Desmond Riley, en 1969 : il fallait multiplier les disques à succès et donc les ventes pour profiter de cette manne, capitaliser sur cette folie selon ses propres mots, tout en essayant d'étancher l'atmosphère violente qui l'accompagnait, comme il avait pu le faire 2 ans plus tôt avec certaines de ses Rudeboy songs, une ambiance peut-être ponctuelle mais largement relayée par la presse. Et de rajouter : "le phénomène skinhead a joué un grand rôle. Ce sont eux qui sortaient et achetaient Red Red Wine et Reggae In Your Jeggae quand Trojan était dans la place". D'autres n'ont pas été aussi lucides dans leurs propos... Dans un entretien donné à NME en 1973, Harry Palmer, le boss de Pama, se fendait d'un crachat dans la soupe en affirmant que les Skinheads avaient tué le Reggae : les magasins n'en voulaient plus en stock à cause de leur comportement marginal et violent. D'autres furent plus pragmatiques : pour Lee Gopthal qui manageait tout de même Muzik City, une chaîne de magasins de musique spécialisés en Reggae et installés dans les quartiers noirs tandis qu'une autre, Musicland, était plus grand public, ça n'était qu'"une bataille de plus" ; quant à la vision de David Betteridge, qui travaillait chez Island, elle regrettait la mauvaise pub faite par les Skins au Reggae tout en relevant que c'étaient tout de même eux qui avaient fait décoller les ventes tout en favorisant une certaine intégration des West Indies. Comme quoi, les ambivalences et autres paradoxes datent...


... Et avant de panser les maux, certains avaient déjà pensé à les prévenir. Ben ouais, Dandy encore, accompagné de ses Music Doctors, un groupe de studio qui se recoupe avec les Rudies dans les grandes largeurs. Les sessions d'enregistrements se multiplient et grossissent le catalogue 45Tours de Down Town, quelques 33Tours reprenant par la suite des succès et autre matériel inutilisé. Fin 1969, c'est donc un album en duo à la pochette de luxedandy and audrey i need you qu'il sort avec sa compagne de fraîche date, Audrey Hall, "I Need Youdandy and audrey i need you" : ce dernier ne semble pas avoir eu de succès, les fans attendant de Dandy une musique dégoulinante d'orgue et non des ballades sirupeuses. Pourtant, il persiste et signe en compilant tout d'abord bon nombre de ses meilleures productions en tous genres sur le désormais classique "Red Red Wineva red red wine", LP à la fameuse cover girl que je tenterai de recroiser prochainement et qui se vendit tellement vite que Trojan dut le ressortir avant la fin de l'année, sous le même numéro de série mais agrémenté d'un macaron Trojan orange et blanc. Suit un autre big seller Downtown/Trojan qui dut, lui, attendre 1996 pour être réédité : "Blow Your Hornvrico and the rudies blow your horn", un LP occupé par le tromboniste Rico Rodriguez accompagné des Rudies. C'est seulement après s'être consacré à ses protégés que Dandy s'accorde un véritable album -les titres déjà sortis en 45RPM y sont quasi inexistants et parfois de nouvelles versions- avec ses Music Doctors pour un 4e opus perso, le premier en son nom sur sa marque. "Your Musical Doctor", qui sort en février 1970, est une mixture de lignes de basse comme il faut, d'orgue en veux-tu en voilà -superbe instru qu'est Running Wild!, Music Doctor, Touch Of Poison- et surtout d'une voix tantôt suave -Here I Go Again- tantôt DJ style -Voicing Our Choice- qui alterne avec l'harmonica -Gumption Feeling-, l'instrument de notre homme. Le tout fait de cette galette un pur produit à s'administrer autant que possible, comme conseillé au dos de sa couverture, agrémentée de vrais titres à reprendre en chœur : Run Girl, Everybody Loves A Winner sur le riddim de Liquidatorharry j allstars liquidator et remets ça avec Gumption Feeling! En somme, un album qui porte bien son nom et à chanter, danser et écouter. Comme il se doit.


La suite, c'est encore beaucoup de travail de la part de Dandy Livingstone qui est désormais à la tête d'un second label au sein de Trojan, J-Danlabel j-dan uk, pour lequel il sort une 20aine de 45Tours. Mais dans l'ensemble, beaucoup d'acharnement pour peu de résultats, avec tout de même quelques coups d'éclat dans une période où le Reggae est clairement en phase descendante. Dandy produit ainsi trois autres 33RPM : "Red Red Wine Volume Twored red wine volume two" a beau reprendre la même cover girl que sur le premier, "Reggae In The SummertimeReggae In The Summertime" donner la parole à ses musiciens et "Morning Side Of The Mountaindandy and audrey morning side of the mountain" retenter un album en duo avec Audrey, ces essais qui sortent coup sur coup jusqu'en septembre 1970 se soldent par des échecs plus ou moins retentissants et provoquent le départ de notre artiste dans son pays natal où il reste durant toute l'année 1971. C'est d'ailleurs là, au Dynamic Studio de Byron Lee, qu'il enregistre les morceaux qui font le 33RPM "Dandy Livingstonedandy livingstone" qui sort courant 1972 en UK, une galette cependant délestée du vrai hit qu'il se permet cette année-là, Suzanne Beware Of The Devil édité chez Horsedandy livingstone suzanne beware of the devil horse puis sur Trojandandy livingstone suzanne beware of the devil trojan qui fait un #14 en septembre 1972 ; le superbe Big Citydandy livingstone big city horse, enregistré lors de la même session jamaïcaine, atteint la 26e place le 13 janvier 1973 et provoque son passage à l'émission Top Of The Pops où il est accompagné par les Marvels aux chœurs le 25 janvier suivant. Mais ces mêmes "bright lights" qu'il y chante s'éteignent les unes après les autres, la faute à la signature sur d'autres labels, à une nouvelle direction artistique et à des attentes apparemment moins réalistes en UK qu'elles ne l'étaient aux US. Ca n'est pas avec "Consciousdandy livingstone conscious", "South African Experiencedandy livingstone south african experience" ou encore "Home From Homedandy livingstone home from home" qu'il deviendrait l'équivalent d'un Curtis Mayfield, d'un Marvin Gaye ou autre Smokey Robinson, stars parmi les stars qui du fait de leur couleur de peau ne gagnaient pas autant que des blancs. Pourtant, dans nos mémoires et sur nos platines, Dandy est un artiste Reggae et c'est déjà une sacrée bonne chose.


Tracklist: A: Here I Go Again - When I See Her - Run Girl - Doctor At Work - Running Wild - Meeting Over Yonder (UK : Prince Of Darkness - Down Town DT 448-A, 1969) - B: Voicing Our Choice - Everybody Loves A Winner (UK : Down Town DT 442-A, 1969 - Music Doctor - Gumption Feeling - Touch Of Poison (UK : Johnny Dollar, J-Dan JDN 4407-B, 1970) - Come On Home (UK : Down Town DT 437-A).



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depuis le 17/05/12 [MAJ 26/05/2012].



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