Censored! / Lloydie & The Lowbites. - Lowbite LOW 001, 1970.

Censored! - Lloydie & The Lowbites

lloydie & the lowbites censoredChanteur, organiste ou encore producteur, Lloyd Charmers est passé par tous les stades de la production musicale, qui plus est avec succès. Certains de ses registres ont même fait plus spécialement mouche auprès des jeunes anglais au tournant des années 1960 et 70 : l'orgue, qu'il a le plus souvent mis au service des Hippy Boys de Lee "Scratch" Perry, et le chant, plus précisément lorsqu'il couplait ce dernier avec des paroles grivoises. De ce fait, Lloyd Charmers est l'une des figures les plus représentatives de deux courants en vogue à la fin des 60's en UK : le Skinhead Reggae et le Rude Reggae. "Censored!", sorti en 1970 et crédité à Lloydie & The Lowbites, l'un de ses quelques pseudonymes, fait intégralement partie du dernier cité...


A vrai dire, avec cet album qu'il a lui même produit, Lloyd Charmers n'a rien inventé et n'en est même pas à son coup d'essai. La chanson grivoise, ou paillarde selon le terme que l'on préfèrera employer, a toujours eu droit de cité en Jamaïque, comme par ailleurs dans bien des répertoires folkloriques à travers le monde et ses différentes cultures. Ainsi, les Mento et Calypso ont dans le passé déjà fourni bon nombre de titres à ce registre, titres qui ont parfois fait l'objet de reprises à travers les différentes escales par lesquelles est passée la musique jamaïcaine, Don't Touch Me Tomato en constituant un bon exemple puisqu'entre autres enregistrée par Lord Lebby & MBH Calypso Band ou encore Marie Bryant en 1959, avant d'être reprise par Phyllis Dillondon't touch me tomato en mode Rocksteady en 1968 pour Duke Reid. La chanson à connotation sexuelle est aussi l'une des spécialités de Prince Buster, dont plusieurs albums et/ou compilations furent exclusivement dédiés au genre : "Wreck A Pum Pumprince Buster wreck a pum pum" en 1968 et "Big 5Prince Buster Big 5" en 1972, "Sister Big StuffPrince Buster Sister big stuff" en 1976 et "She Was A Rough Riderprince buster she was a rough rider" (1967) n'étant, contrairement à ce qu'on pourrait en attendre, que deux albums aux titres tappe à l'oeil mais non représentatifs du contenu-. Il fut d'ailleurs, et comme on le verra, le pourvoyeur de quelques covers interprétées par Lloyd Charmers dans ce "Censored!". Max Romeo fut un autre des abonnés au genre et connut un énorme succès en même temps que la censure des ondes radio UK avec Wet Dreamwet dream en 1968. Enfin, et pour boucler ce tour d'horizon limité, Lloyd Charmers lui-même s'est déjà essayé au genre puisque son Birth Controlbirth control -sous le pseudonyme Lloyd Terrell- a obtenu un vif succès en 1969.


Ce qui fait la spécificité de cet objet, c'est aussi, il faut bien l'avouer, une superbe pochette... Là, on se dit que les rappeurs US n'ont, sur la forme, rien inventé. Je précise sur la forme puisque, dans le fond, si la femme est, des deux genres, le plus exploité en tant qu'objet sexuel, elles ont su, du moins en Jamaïque, exploiter à leur tour le filon et rendre la monnaie de leur pièce aux hommes. On l'a déjà vu avec les Marie Bryant et Phyllis Dillon, et bien d'autres ont donné de la voix dans ce registre: les Soul Sisters, Nora Dean ou Faye Benett en font partie. Peut-être peut-on, de ce fait, minorer le côté obscène du Rude Reggae pour souligner l'humour pour le moins croustillant qu'il met aussi en jeu. Toujours est-il que, pour le coup, Monsieur Charmers a pensé aux moindres détails lorsqu'il a packagé son LP... La modèle qui, ses parties flanquées d'une mini-pancarte censurant ce que les chansons chantent (album, du reste, "not recommended for air play"!!!), pose devant l'objectif, n'est autre que Lucienne Camille aka Sylbia Bayo, originaire des Seychelles. Elle apparut selon l'IMDb dans quelques films érotiques ou pornographiques, comme "Naughtynaughty" en 1971 et "The great british stripteaseThe great British striptease" en 1980, ainsi que dans plusieurs séries TV UK avant de décéder en 2006. On supposera néanmoins que c'est un "heureux" hasard dans la mesure où l'intéressée apparaîssait déjà sur les "Prisoner Of Lovedave barker prisonner of love" de Dave Barker & The Upsetters, "Reggae Happeningboris gardner reggae happening" de Boris Gardner (et on pourrait supposer que la séance photo fut la même que pour "Censored!" au vu de certains détails, dont ce fameux collier de perles...), "Woman Capture Manthe ethiopians woman capture man" des Ethiopians ou encore sur cet opus de covers Reggae des Jubilee Stompers, "Reggae Tightjubilee stompers reggae tight", ainsi que sur la compilation "You Can't Wineyou can't wine" avec des titres produits par Rupie Edwards, et "Reggae Party With...reggae party with", consacrée, elle, à des prods estampillées Leslie Kong- ; tous ces opus étant sortis en... 1970. Inutile cependant d'aller trop vite en besogne dans la mesure où l'année suivante, Trojan récidive avec "Music Alone Shall Livemusic alone shall live" qui reprend encore des titres de Ruppie Edwards tandis que Deram donne dans la compil R&B/Soul avec "The World Of Soul Powerthe world of soul power", démontrant si besoin est que les professionnels de la musique n'ont pas oublié la belle et sulfureuse Lucienne en un clin d'oeil... Entre-temps, en 1970, Trojan avait fait fructifier son catalogue auprès d'autres labels pour d'autres contrées, comme la Belgique. MFP, encore, reprenait donc la playlist -à un titre près, le Pickney Gal de Desmond Decker étant remplacé par Sweet Sensation des Melodians- de son "Reggae Party With..." pour y sortir un "Soul Shake Down Partysoul shake down party" à la couv' occupée par notre modèle du jour qui y apparut aussi sur la pochette d'une compile de reprises Reggae éditée par Sounds Superb, "12 Fantastic Hits Reggae Versions12 Fantastic Hits Reggae Versions". On ne modifie pas les recettes qui gagnent!


Ceci dit, les infos me semblaient bien rares, mais cette chronique commence à se faire longue. Bien heureusement, ce fameux "Censored!" se laisse plus qu'écouter, et en boucle! Les ébats commencent donc, ou plutôt devraient commencer, avec Open Up, un morceau ou la voix de Lloydie crève d'envie et insiste -Clancy Eccles n'en réussit pas moins sa version qui doit n'être rien de moins que l'originale- sur l'un des morceaux les plus dansants de l'opus, quand Free Grind Ticket prend un air plus mélodique et narratif, fruit de l'expérience du gars qui est à la recherche d'un bon coup... Fat Fat Girl, repris aux Heptones (c'est du moins le riddim de Fatty Fatty), se traîne sur un rythme plus aventureux, le monsieur sait ce dont il a besoin, et on notera au passage qu'il n'est pas, à l'instar de Leroy Sibbles, le seul artiste JA à avoir un faible pour les femmes plutôt fortes; un signe des temps et des lieux peut-être... Dans tous les cas, la basse, rondelette et dynamique à point, le rend bien! Quant à Bang Bang Lulubang bang lulu, entre autres adapté par The Mighty Sparrow ou encore Boney M dont ce n'est pas l'unique référence à la musique jamaïcaine, elle semble raconter -et regretter?- le départ d'une nana du coin qui, passez-moi l'expression, rendait bien service, et pas spécialement à notre interprète... Notons au passage que l'existence de ce titre traditionnel est déjà avéré en 1902! Avant de retourner la galette -j'ai bien écrit "la galette"...-, on a droit à un Wine & Grine qui reprend quelque peu les lyrics du Wine Or Grind de Prince Buster, toute fois réadaptés. De l'autre côté, donc, Pussy To Kill You entame de manière enjouée un round qui, semble-t-il, a laissé Lloydie et ses Lowbites sur le carreau, à l'instar de Prince Buster, comme ils le racontent si bien sur Rough Rider... Des odes à la femme en quelque sorte! I Love You Fatty décrit de manière taquine une de ces jamaïcaines qui hante l'esprit de Mister Charmers (ou de Clancy Eccles, dont il reprend encore un gros succès...): "I love your body when you drop off your body / I love your body when you lie down very low / I love your body when you shake off your body / I love your body when you're sliding very slow". C'est l'obsession tout le long de la chanson, laquelle sera encore reprise une dizaine d'années plus tard par les Bad Manners. Quand à Mr Rhya, pétrie de choeurs féminins langoureux et d'humeur câline, et des exploits d'un certain homme à femme, c'est à mon avis le meilleur morceau de cet album, ce que vous pourrez toujours discuter. Pour terminer cette écoute, une grosse hausse de température est de mise avec Birth Control, titre sorti un an plus tôt et interprété sur le mode dialogue réaliste en pleine action, gémissements et froissements de draps à l'appui... On le préfèrera ou pas à sa cover par les Specials, Too Much Too Young, toujours est-il que dans les deux cas, ce fut un morceau qui attira les foudres des "partenaires industriels" sur leurs interprètes respectifs : Trojan, à l'inverse de Pama, repoussait les titres Rude Reggae de Loyd Charmers quand les Specials se voyaient couper leur représentation à Top Of The Pops à l'arrivée du mot "contraception"... D'autres temps donc...


Arrivés là, et si l'on a su apprécier ce dernier -préalablement sorti en press JAcensored jamaicain-, on aurait tort de se priver d'autres opus du genre. Pour retrouver du Lloydie & The Lowbites, on recherchera donc le second volume de "Censored!"censored volume 2 en press JA non repris par Trojan, ou encore les compiles d'époque que Pama avait plus largement dédiées au Rude Reggae, à savoir "Bang Bang Lulu" en 1968, dont il existe des versions rougecbang bang lulu red, noirebang bang lulu et orangebang bang lulu orange pour une même série de titres, "Birth Controlbirth control" et "Something Sweet The Ladysomething sweet the lady" . Trojan, quand à eux, n'auront contrairement à ma première affirmation, pas attendu les années 1990 pour enfin consacrer à la chanson grivoise les "Adults Only" vol. 1adults only et Vol. 2adults only 2. En effet, dès 1970 apparaît la compile "Dr Kitchva dr kitch trojan" où, il est vrai, des rythmes plus anciens que le Rude Reggae battent le haut du pavé. De quoi en entendre de toutes les couleurs... Et puis ça peut toujours donner des idées, à madame comme à monsieur...


Tracklist: A: Open Up - Free Grind Ticket - Fat Fat Girl - Bang Bang Lulu (PM 710-A, 1968) - Wine And Grine - B: Pussy To Kill You - Rough Rider - I Love You Fatty - Mr Rhya (Nu Beat NB 023-A, 1969) - Birth Control (PM 792-A, 1969).




[01/2009 - MAJ 04/2011 - MAJ 01/2012 et renvoi au magnifique dossier "The Harder They Cum" du Chéribibi #7 - MAJ 03/2012.]



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