Ray / Taylor Hackford. - Avec Jamie Foxx, Kerry Washington, Regina King... - 2004, 2H32.

Ray

rayRay Charles: un artiste au talent immense, connu et reconnu dans le monde entier, du Nord au Sud et d'Est en Ouest. D'ailleurs, peu d'artistes issus du monde musical contemporain ont eu droit à ce traitement de faveur incluant la sortie de maints ouvrages bibliographiques plus ou moins officiels et, surtout, la sortie d'un film pour le moins hollywoodien...


Pour ma part, je connaissais Ray Charles d'assez loin. Mes premières références en matière bibliographiques étaient, encore une fois, le superbe "Sweet Soul music" de Peter GURALNICK. En effet, un châpitre entier lui y est consacré, mais c'est surtout de son oeuvre musicale qu'il s'agit, celle, évidement, de la période Atlantic. Sa vie privée et son côté businessman y sont carrément occultés, ce qui permet de garder l'homme en très haute estime. Ensuite, je ne cacherai pas que les plus grands titres de Ray Charles sont pour moi les plus connus, ceux de sa première période, où il fut accompagné, à l'image de bien des artistes Stax des années plus tard, par Mehmet Ertegun et Jimmy Drexler: le premier qui me vient à l'esprit est Hit The Road Jack, le plus dansant est sans aucun doute What'd I Say, mais Mess Around, Georgia In My Mind, I've Got A Woman ou encore le Unchain My Heart plus tard repris par Joe Cocker, sont tous plus irrésistibles les uns que les autres. Et j'en oublie, c'est évident, puisque je me contente de citer les plus connus de ses titres; en cela, je ne me différencie pas de l'écrasante majorité de son auditoire.


Le film, lui, m'a laissé pantois... Que d'émotions, je suis bien obligé de l'admettre. Même si le côté angoissé du personnage est bizarrement mis en scène, avec ces passages où il s'imagine entouré de l'eau qui a noyé son frère, bien des scènes suscitent de l'admiration et de l'envie pour ce grand artiste. Musicien hors pairs, homme à femmes redoutable, businessman au flair inégalable, le sieur Ray, grâce au souvenir de sa mère, a très largement surmonté son handicap. Le portrait dépeint par le film est ainsi assez idéal, faisant de l'homme universellement connu une icône tout ce qu'il y a de plus humaine, avec ses angoisses, ses crises, ses envies, ses rêves, ses doutes, son aura, ses hauts et ses bas. Et ce bien que la couardise du monsieur soit bien palpable, déjà, avec les femmes, et même avec ses propres musiciens. Mais le film ne fait qu'effleurer ces aspects de l'homme, et par là, elle le rend tout simplement admirable. Et ce d'autant plus que la période sur laquelle il s'étend, soit des années 1930 à, en gros, 1970, est bien la montée en puissance du Genius, son apogée, et celle aussi de son addiction à l'héroïne, puis de sa victoire sur cette drogue.


Yes, rien à dire, le premier visionnage de ce film m'a laissé sur le cul: quel personnage, quel artiste immense, quelle bande son! Mais tout ne pouvait être aussi parfait, je devais en savoir un peu plus. La lecture de la biographie par Michael LYDDON s'imposait donc à moi.


Au final, le bouquin confirme bien le film et va plus loin même. Ray Charles était encore plus mangeur de femmes qu'ils ne le parait dans le film. Elles sont des dizaines à être passées dans son lit, des dizaines à avoir été lâchées, un grand nombre à être tombées enceinte, à avoir demandé sa reconnaissance de paternité, à avoir porté plainte contre lui, à avoir gagné gain de cause ou à avoir rêvé qu'elles étaient "la seule". Un sacré tombeur sans coeur ni loi! Margie, Mme Ray Charles de la première version des Raelets était en fait une bi-sexuelle, et il semble que Ray l'invitait souvent dans sa chambre avec l'une ou plusieurs de ses amies, et de temps à autre, un de ses musiciens ou un autre homme de sa connaissance. Même sans la vue, on imagine que Ray avait les sens en grand éveil!!!


Côté fric, Ray était d'une pingrerie dégoûtante. Si on peut comprendre ses manières de faire sur la période que couvre le film -encore que-, en lisant le bouquin, qui va jusqu'à la fin des années 90, on se rend compte que Ray Charles était vraiment un gros radin. Même les musiciens qui l'ont suivi pendant des dizaines d'années n'ont eu droit, en gros, qu'au minimum syndical, et encore, ils devaient, en tournée, payer leurs chambres, repas, toute acceptation de cadeaux de la part des patrons de salles de concerts étant sévèrement réprimendées par Ray Charles et son manager (je parle ici d'Adams, le second, et non de Jeff, personnage assez sympathique et du côté des plus pauvres) et considérées par lui comme un vol sur sa personne. Mais ce n'est là qu'un aspect de sa pingrerie, je vous l'assure. Ce qui fait que ça rend pas le personnage très sympathique...


De plus, quelques détails ne cadrent pas entre le film et le bouquin. Dans le premier, Ertegun annonce Mess Around comme un titre qu'il a écrit alors que c'est un titre de Nugrete, lequel n'a pas obtenu grand succés à sa sortie. Autre détail, et de taille, est que le bouquin ne fait nulle part allusion à l'interdiction de séjour en Georgie à laquelle a été condamné Ray Charles au milieu des années 60 lorsqu'il a refusé de jouer dans une salle ségrégationniste. Et là, je n'ai pas envie de me coltiner un autre ouvrage juste pour vérifier où se situe vraiment ce fait. Ce qui n'enlève rien au fait que Ray Charles, bien qu'il n'ait jamais rien eu de vraiment engagé comme artiste, ait été le premier artiste Noir a se prononcer aussi ouvertement sur la ségrégation raciale alors encore en vigueur au Sud des USA. Et j'en passe, le film fait quelques approximations et raccourcis qui prêtent parfois à confusion. Ce qui ne veut pas forcément dire que le livre soit exempt d'erreurs: la vérité est certainement à chercher entre les deux!


Bref, le bouquin, qui traite aussi des années 70 à 90 finit par lasser. La carrière de Ray n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était au début, et il continue à travailler d'arrache pied comme si de rien n'était: tournées interminables, enregistrements et sorties d'albums, etc, etc... C'est là que l'on voit que cet artiste et la musique ne faisaient qu'un. Sans la musique, Ray n'existait plus. Seulement, voilà, on perd facilement le capital sympathie des gens, bien plus facilement qu'on ne l'a acquis. Et l'auteur a beau faire pour rendre Ray formidable, toujours aussi prolifique, et etc, et bien on se dit que c'était pas loin d'être un beau salaud -et certainement pas le seul!- pour qui les belles idées, c'est entendu, ne font pas vivre. Pour Ray, seule sa réussite comptait, l'entrée de dollars et encore de dollars. Et à côté des tubes intemporels qu'il nous a laissés, son ambition et sa réussite sont peut-être les seules choses de louables que l'on finisse par trouver chez lui... mais ce n'est que mon avis, et il est bien entendu que le film comme le livre sont absolument à voir et à lire, de quoi se faire sa propre idée!


[2006]