Island song / Alex Wheatle ; roman traduit de l'anglais par Nicolas Richard. - La Laune : Au diable vauvert, 2007. - 438 p., 23€.

Island Song

island songMerci Cheribibi! Ben ouais, sans une chronique publiée dans le dernier numéro, je serais passé complètement à côté de ce superbe roman... Et pour cause : ayant déjà croisé le Redemption Song -2003- d'Alex Wheatle en librairie, à une époque où l'Internet ne donnait pas encore la parole aux critiques de tout poil, j'avais trouvé son 4e de couv' complètement rédhibitoire. Une première approche qui annulait d'emblée tout intérêt pour l'auteur. Bien mal m'en a pris! L'ouvrage que je vais à mon tour présenter est en effet un petit bijou et je serais bien buté de ne pas revoir mes positions en boycottant indéfiniment son premier roman traduit -titre original : East Of Acre Lane-.


Ceci dit, les chroniques de romans ne sont pas légion ici, mais c'est qu'il n'est pas facile de tomber sur les bons, encore moins d'être convaincu par leur contenu. J'avais trouvé Hortense & Queenie digne d'intérêt dans sa description de l'intégration de jamaïcains à Londres au milieu du siècle dernier. D'autres romans, dont les excellents Livre de la Jamaïque et Sous le règne de Bone de Russell Banks, ont beau être passionnants tout en faisant partie des rares fictions disponibles en français sur la Jamaïque, leur sujet ne cadre pas avec les propos de ce site, à l'instar d'un Human Punk de John King qui invite du Reggae trop ponctuellement dans son récit pour apparaître ici. Et puis il y a de rares romans traduits qui font intervenir des skinheads dans leur aspect le plus provocateur... C'est bien joli, mais le Slow Death de Stewart Home, puisque c'est à lui que je pense, m'a laissé bien stoïque à l'époque, bien avant la mise en ligne de ces pages. Island Song est, lui, à sa place ici.


Alex Wheatle est un anglais d'origine jamaïcaine né en 1963. Avec désormais cinq ouvrages à son actif et deux autres en collaboration, il semble dresser petit à petit un portrait de la diaspora jamaïcaine en Angleterre, dans tous les aspects qu'elle a pu prendre. Island Songs -titre original-, le troisième du cru, n'est ni plus ni moins qu'une petite saga familiale s'étendant sur plusieurs générations : deux et même trois via ses protagonistes et son déroulement chronologique, cinq ou six au minimum en prenant en compte tout ce qui fait la vie et la personnalité de ces personnages.


Il est donc question d'ancêtres africains puis esclaves, de maîtres blancs, de Marrons, de religion, des prémisses de rasta, de la campagne et de Trench Town, d'émigration et de métropole, de travail mais aussi de fête et donc de musiques avec Mento, R&B et Ska puisque l'essentiel du roman se passe entre 1945 et 1963. Mais c'est vrai, ces musiques on ne les entend pas : Hortense et Cilbert dansent juste sur le son craché par la radio branchée sur la Nouvelle-Orléans avant de découvrir les soirées de Duke Reid puis celles de Count Suckle à Londres, quand Lester préfère le Flamingo et d'autres clubs de l'East End. L'ensemble est lié par le rythme de la vie : les morts, les naissances, les rêves, l'espoir, l'admiration, l'amour, les défiances, les traîtrises et autres séparations... Ça remue, c'est vivant, un véritable cœur qui bat où tous les sens sont mis à rude épreuve, jusqu'à l'odorat et aux papilles gustatives. Un vrai bonheur de lecture dans le dur cadre jamaïcain! Reste qu'avec une traduction, il est bien difficile d'avoir le rendu originel voulu par l'auteur. Mon impression est que le traducteur s'en sort plutôt bien : forcément, c'est pas du patois jamaïcain traduit en créole antillais, mais le langage est coloré et fidèle de bout en bout à la ligne directrice qu'il s'est proposé, les termes les plus techniques ayant le plus souvent été bien transposés. Tout ce qui fait un bon roman... À lire absolument!


[03/2012]