Wattstax / Mel Stuart. - Avec Isaac Hayes, Rufus Thomas, Richard Pryor... - 1973 [ressorti en 2007], 1H50.

Wattstax

wattstax"Nous avons tous quelque chose à dire, mais certains d'entre nous ne sont jamais écoutés. Il y a 7 ans, les habitants de Watts se sont soulevés et ont demandé à être entendus. Un dimanche d'août dernier au Coliseum de Los Angeles, plus de 100 000 Noirs sont venus commémorer ce moment de l'histoire américaine. Durant plus de 6H00, l'audience à écouté, ressenti, chanté, dansé et lancé le mot d'ordre, tels une expression de l'âme et de l'expérience noire. C'est un film sur cette expérience et sur ce que certaines personnes ont à dire" -Richard Pryor.


C'est -approximativement, excusez le niveau en anglais!- par ces phrases que Wattstax est introduit. Et si c'est un résumé valable, il convient tout de même de revenir sur le contexte de l'évènement mis en avant ici.


Organisé par le label Stax le 20 août 1972 pour commémorer le 7° anniversaire des émeutes de Watts, le festival Wattstax a donné lieu à ce documentaire où des extraits du concert sont entrecoupés de témoignages divers: ceux, terre à terre, de certains habitants du quartier de Watts; ceux, plus ironiques, du comédien et humoriste Richard Pryor, ou encore celui de Théodore William Lange, alias Isaac, le gentil barman de "La croisière s'amuse."


Watts est un quartier de Los Angeles, situé dans le Sud de la ville. C'est plus précisément le quartier noir de Los Angeles dans les années 1960, celui où a été, par volonté politique, ghettoisée la population de couleur de la cité des anges, et ce à partir des années 1920. En effet, jusque là, la ville était connue pour abritter la plus grande proportion US d'afro-américains propriétaires de leurs murs: 36%. C'était sans compter sur les restrictions raciales pour le logement touchant alors les Asiatiques, Chicanos et autres Juifs qui devaient être élargies aux Noirs. Simplement, le South Central Los Angeles a longtemps laissé désirer au niveau des infrastructures scolaires, hospitalières, transports publics, services sociaux, logement... Entre 1950 et 1965, le quartier de Watts devait voir sa population noire multipliée par dix, alors que le premier hôpital se situait à deux heures de bus et que les trois lignes de transports présentes ne menaient vers aucun centre d'emploi important de la ville. Il n'y avait même pas d'agence d'aide à la recherche d'emploi: un lieu laissé à l'abandon, en pleine paupérisation. L'étincelle qui mit le feu aux poudres fut un contrôle policier poussé sur un conducteur de couleur en état d'ébriété et sa mère enceinte, le 11 août 1965. S'ensuivirent 4 jours d'émeutes où 34 personnes devaient mourrir, 1100 être bléssées, 4000 arrêtées, tandis que près de 1000 bâtiments furent détruits ou endommagés (la 103° rue y gagna son surnom de "l'allée du charbon"), le tout engendrant plus de 35 millions de dollars de dégâts et le déploiement de la garde nationale renforcée appuyée par des unités de l'armée fédérale, quand plus de 40 émeutes devaient éclater, à partir de là, sur l'ensemble du territoire américain.


Wattstax fête donc une prise de conscience, celle d'une mise à l'écart et d'un manque de respect constant envers la population afro-américaine. Des discussions de comptoir viennent conforter l'idée selon laquelle les Noirs sont laissés à l'abandon et au delà, dans une certaine mesure, interdits d'ascension sociale. Peu d'images sur lesdites émeutes. Mais de nombreuses scènes de la vie quotidienne où affleure la pauvreté et frappe le nombre d'églises, finalement parmi les rares lieux où les Noirs peuvent trouver du "réconfort". Les témoignages et discussions font état, aussi, d'une conscience de peuple où, bien évidemment, les expériences et comportements sont multiples, bien loin d'être figés dans l'image folklorique entretenue par le pouvoir et les grands lobbys tels qu'Hollywood. Il y a des chômeurs, des voyous, des désespérés mais aussi des travailleurs, des médecins, des battants, finalement tout ce qui compose une société diverse et normalement constituée, en dehors du fait que les proportions entre ces diverses "castes" sont anormalement inversées.


Et puis, bien sûr, et avant tout, il y a la musique. Gospel, Blues, Rythm & Blues, Soul, Funk, tous ces genres sont représentés et articulés à travers quelques images ou des apparitions scéniques, avec un mot d'ordre bien d'époque: "Black is beautiful", lancé par un révérend Jesse Jackson -par la suite candidat aux présidentielles américaines, en 1984, 1988 et 2004, premier Noir américain à sortir vainqueur des primaires de son parti (démocrate) en 1988- en pleine forme, poing levé, et repris par les dizaines de milliers de spectateurs: si le Mouvement pour les droits civiques ou le Black Panther Party ne sont jamais ouvertement évoqués, on sent néanmoins leur forte présence dans les esprits et les usages, et c'est bien la moindre des choses pour l'époque. Une profusion de couleurs, looks, styles, coiffures, mouvements et sons donne aussi toute sa richesse à ce documentaire qui est un vrai régal pour les yeux, autant que pour l'ouïe. L'ostentation dont font état les artistes et autres représentants de classes sociales peut-être plus aisées est tout aussi remarquable: Rolls Royces, Bentleys, Cadillacs, manteaux de fourrure, trois pièces luxueux, robes minimalistes mais non moins élégantes, un étallage qui raccroche d'emblée ce film à tous ceux de Blaxploitation et au monde de "macs" qui y est souvent décrit: les rappeurs actuels n'ont rien inventé! Un rapport encore renforcé par le fait qu'à l'époque, Stax avait tout fait pourque l'entière organisation de l'évènement soir le fait de Noirs, jusqu'à la sécurité, qui devait être le fait de policiers de couleur: un détail qui en a choqué plus d'un dans l'optique d'une lutte contre le racisme, mais qui prenait tout son sens dans celle d'émancipation.


La version récente de Wattstax a vu le rajout de la prestation de Isaac Hayes, le Black Moses, extrait dont s'était vu amputer la première mouture du film pour des raisons de droit et d'image. Au final, vous avez là LE documentaire Soulful, avec:


- "Whatcha See Is Whatcha Get" / The Dramatics; *
- "Oh La De Da" / The Staple Singers; *
- "We The People" / The Staple Singers; *
- "The Star Spangled Banner" / Kim Weston : L.A. Coliseum;
- "Lift Ev'ry Voice And Sing (The Black National Anthem)" / Kim Weston : L.A.Coliseum;
- "Somebody Bigger Than You And I" / Jimmy Jones : L.A. Coliseum;
- "Lying On The Truth" / The Rance Allen Group : L.A. Coliseum;
- "Peace Be Still" / The Emotions : Friendly Will Church;
- "Old Time Religion" / Stax Golden 13 (William Bell, Eddie Floyd, Debra Manning, Eric Mercury, Freddy Robinson, Lee Sain, Ernie Hines, Little Sonny, Louise McCord, Newcomers, Temprees, Frederick Knight) : L.A. Coliseum;
- "Respect Yourself" / The Staple Singers : L.A. Coliseum;
- "Son Of Shaft" / The Bar-Kays : L.A. Coliseum;
- "I’ll Play The Blues For You" / Albert King : L.A. Coliseum;
- "Walking The Backstreets And Crying" / Little Milton : Watts Railroad Tracks;
- "Jody's Got Your Girl And Gone" / Johnnie Taylor : The Summit Club - Los Angeles;
- "I May Not Be What You Want" / Mel and Tim; *
- "Pick Up The Pieces" / Carla Thomas : L.A. Coliseum;
- "The Breakdown" / Rufus Thomas : L.A. Coliseum;
- "Do The Funky Chicken" / Rufus Thomas : L.A. Coliseum;
- "If Lovin’ You Is Wrong (I Don’t Want To Be Right)" / Luther Ingram : L.A. Soundstage;
- "Theme From Shaft" / Isaac Hayes : L.A. Coliseum;
- "Soulsville" / Isaac Hayes : L.A. Coliseum;
- "Lift Ev'ry Voice And Sing" (Reprise) / Kim Weston : L.A. Coliseum.

* bande son off, sans apparition des artistes.


Pour tous les amoureux de Soul Music, un documentaire musical et une chronique sociale à voir absolument!


[05/2008]