Le hasard aidant le calendrier, voici une interview qu'on pourra prendre comme un hommage à un grand monsieur que vous allez découvrir dans les lignes qui suivent. Mais c'est surtout, à travers une tonne de questions envoyées par mail et des réponses brutes et sans concessions reçues sur cassette audio, le récit d'une expérience qui laisse rêveur n'importe quel passionné de Reggae qui se bouge pourque cette musique n'en reste pas à nos platines. C'est donc en français s'il vous plaît, très naturellement et sans calculs, que Trish, la roadie dont il vous faut le contact pour lancer vos soirées les plus mémorables, revient sur ses 30 dernières années...





This is... Trish'Boss Festival !

La question à la base de tout : le Reggae, la musique jamaïcaine, à quelle époque et comment l'as-tu découverte ?


 Trish avec Alton Ellis et Mafia & FluxyMoi, je suis arrivée en Angleterre dans les années 72, septembre 72 pour être exacte, et j'y suis venue pour apprendre l'anglais ; j'étais fille au pair et à cette époque il y'avait dans le Hit Parade Pop, donc dans le Top of the Pops qui était le nom de l'émission qui passait aussi à la télé, il y avait Max Romeo avec "Wet Dream" (qui entre parenthèses avait quand même été interdit par la BBC de diffusion radio ou télé, ce qui ne l'avait pas empêché de monter dans le Hit Parade) et il y avait aussi Ken Boothe avec "Everything I Own" et… Et donc moi je me suis rapprochée du Reggae avec ça, avec Max Romeo et avec Ken Boothe : ce sont les deux premiers disques de Reggae music que j'ai vraiment écoutés ; bien sûr à l'époque je ne savais pas que j'aurais dans les années suivantes à travailler avec les deux (rires).



Quelles ont été tes premières activités par rapport à la musique ? Ça a débuté en Italie ou tu étais déjà en UK ?


Alors non, tout ça s'est développé ici, en Angleterre. Je n'avais jamais écouté la musique Reggae comme déjà expliqué et donc c'est à Birmingham que je m'en suis rapprochée. J'y habitais à l'époque et je m'en suis encore plus rapprochée lors de ma venue à Londres. Parce que bien sûr à Londres la scène est beaucoup plus intéressante. En Italie, j'avais jamais entendu parler du Reggae et je crois que beaucoup d'autres gens n'avaient jamais entendu parler de Reggae parce qu'il n'y avait pas encore le boom avec Bob Marley, donc pour moi ça a été une expérience qui a débuté ici en Angleterre. Quand je suis descendue à Londres, j'ai d'abord logé chez une famille jamaïcaine où il y'avait le père, la mère et trois fils qui avaient plus ou moins mon âge et on est devenus de grands copains. C'est des gens que je visite encore aujourd'hui, c'est un peu ma famille d'adoption ici à Londres. Par la suite, ils ont même connu ma famille en Italie et quand ma mère vient ici, on les visite ensemble. Moi, je les visite souvent parce que c'est comme ma deuxième famille ici, donc j'peux pas m'en passer. Et des deux frères et une sœur, la sœur est maintenant marraine de ma fille. Avec les deux frères, je me suis rapprochée encore plus de la musique et c'est eux finalement qui ont fait ma première éducation, si on veut, dans la musique Reggae parce que c'est eux qui avaient la plupart des disques et moi j'ai beaucoup aimé au fur et à mesure. Ils m'ont appris qu'il n'y avait pas que Ken Boothe et Max Romeo et qu'il y'avait beaucoup d'autres interprètes. J'ai donc commencé à acheter mes propres disques et j'en avais beaucoup à acheter parce que moi, j'avais pas pu le faire au fur et à mesure qu'ils sortaient comme les enfants d'origine jamaïcaine qui vivaient à Londres. Moi, je me suis retrouvée avec tout un catalogue qu'il fallait acquérir, j'avais pas vraiment l'argent mais petit à petit, je me suis quand même fait une collection. Et puis j'ai commencé à jouer des petites sélections dans des fêtes d'anniversaire, dans des petites réunions entre copains, et voilà qu'un jour je me suis retrouvée chez moi à la maison et j'ai eu la visite d'un copain à mon mari qui était –euh, mon ex-mari- qui était jamaïcain et qui est toujours jamaïcain d'ailleurs. J'avais mis une cassette à jouer et il a dit «ben tiens c'est une belle sélection, surtout des classique, c'est du Studio1!!!» en s'adressant à mon mari et voilà que mon mari, il s'est retourné vers lui et lui a répondu «tu te trompes, c'est à ma femme qu'il faut que tu parles, c'est elle qui a fait la sélection». Et comme ce copain était dans une radio libre, qu'on appelait ici une radio pirate, il m'a demandé si j'avais les disques aussi et j'ai dit «oui, oui mais c'est que je me fais une cassette pour la voiture, etc.». Et c'est là qu'il m'a demandé si ça m'intéressait d'aller jouer à la radio. C'est par là que tout a commencé…



Avais-tu une préférence particulière pour un style ou autre de Reggae, et te sentais-tu des affinités avec l'un ou l'autre des cultures ou mouvements qui entourent cette musique ?


 Dennis AlcaponeDisons que mes préférences vont aux styles Ska, Rocksteady et Reggae Roots. Et les affinités que je sens, c'est surtout avec le mouvement rasta, bien que ce soit le dernier style de musique dont je me suis rapprochée. J'ai commencé avec le Rocksteady et le Reggae, le Early Reggae de la fin des années 60, début 70 et puis de là je suis passée au Reggae un peu plus actuel et puis de là au style rasta qui a peut-être été la dernière découverte de ma part. Et finalement quand je l'ai découvert, ça m'a fait aimer la musique encore plus parce que c'est encore une autre façon d'interpréter la musique Reggae. On a donc ce style amusant qu'est le Toast, Disc Jockey, puis le Ska et le style Rocksteady où on parle beaucoup d'amour, des chagrins d'amour et puis y'a le style rasta qu'est un peu plus sérieux et qui a vraiment apporté à l'attention des gens la lutte qu'il y avait tous les jours à la Jamaïque et je me suis donc rapprochée de ça aussi parce que finalement ce n'était pas seulement la lutte des jamaïcains, ça représentait un peu la lutte de toutes les classes inférieures ou des classes discriminées.


Et puis j'aime autant la musique que la culture jamaïcaine, parce que c'est un fait, avec le Reggae on se rapproche de la culture jamaïcaine, à fond ! En plus, la culture jamaïcaine m'attire beaucoup parce que je la sens très proche de la culture italienne, surtout des gens du sud de l'Italie, du côté d'où mon père il était, d'à côté de Naples. Disons que les italiens et les jamaïcains ont beaucoup en commun : l'envie de s'amuser, l'envie de ne pas prendre la vie trop au sérieux à moins bien sûr que des situations sérieuses nous fassent réfléchir autrement mais en essayant toujours de voir le côté positif des choses… On donne beaucoup d'importance à la famille, en Jamaïque aussi. On s'met en colère très très vite tout comme les jamaïcains. Mais souvent, c'est du cinéma que ce soit pour les italiens ou pour les jamaïcains ; il faut juste que notre linge sale soit lavé dans la rue, il faut juste qu'on attire l'attention sur nous et ça, effectivement, c'est des côtés de culture qui sont très très très similaires et c'est pour ça je me trouve très très bien avec la mentalité jamaïcaine. Même les gens qui n'ont pas d'instruction, j'estime que ce sont des gens qui ont beaucoup de sens, de logique, très rapides avec leur façon de penser et donc je me sens à mon aise avec eux.



Comment devient-on la roadie des meilleurs artistes oldies jamaïcains ? C'était prémédité de ta part ou ce fut un concours de circonstances ? Qui t'a lancé et comment t'y es-tu prise ? Ca avait quelque chose en rapport avec ton métier d'origine ?


Ca n'avait rien avoir avec mon métier d'origine parce qu'à l'époque j'étais chef d'export dans une fabrique d'argent massif ici à Londres. J'étais en charge des marchés français, espagnol et italien parce que ce sont les langues que je parle ou que j'essaie de parler comme le français. La seule chose qui est la même dans les deux histoires c'est que je voyage autant maintenant, avec les artistes, avec la musique, que je voyageais à l'époque de la fabrique d'argent massif vu que l'on faisait tout les salons dans le monde. Ca été un concours de circonstances, une espèce de destin… Pour faire l'histoire assez simple : j'ai commencé comme je le disais auparavant par la radio après qu'un copain qui était déjà disc jockey m'ait Trish Miss Loyale à Salles-Curan, 2007encouragée à passer des sélections à la radio. Mon émission radio passait tous les samedis soirs et s'appelait «Roots Rockers Show» et mon mari faisait la partie technique, l'ingénieur du son, avec la liste des morceaux que j'allais passer. Et moi je parlais un petit peu mais je passais surtout de la musique tout en essayant d'éduquer un petit peu le public parce que déjà à l'époque, cette musique commençait à ne plus être à la mode, cette musique des années 60, 70. La tendance était déjà à passer beaucoup de Dancehall dont moi je me passe largement. J'ai voulu continuer à passer des disques classiques et éduquer un petit peu le public pour qu'ils n'oublient pas les gens qui étaient là au départ, qui ne sont certainement pas les gens du Dancehall ! Un soir, j'étais dans mon studio de la radio, je faisais donc mon émission et quelqu'un est monté et me dit «ben tiens, tu sais qui est en bas, qui est passé nous voir ? C'est Alton Ellis !» Alors là, j'étais complètement bouleversée, je ne savais plus où j'en étais dans ma sélection ! J'avais quand même une liste car moi je prépare toujours une liste de ce que je passe à la radio à la maison et puis je ne m'en écarte pas beaucoup à part quand je joue comme selecter dans une soirée où je change selon le monde, la réponse du public. Mais quand je suis à la radio, je fais souvent un discours alors la liste ne change pas beaucoup entre la maison et le studio, mais la heureusement que je l'avais la liste ! Monsieur Alton Ellis m'a tellement bouleversée que je ne savais plus où j'en étais, j'avais l'impression qu'en bas, il y avait dieu et donc que moi je ne savais plus mon nom. Finalement, je me suis un peu calmée, j'ai quand même passé un hommage à la présence de M. Ellis. J'ai passé deux morceaux à lui et puis j'ai continué à faire ma sélection en pensant que quand je descendrais, il serait parti vu qu'il était arrivé en début d'émission et que moi j'en faisais deux heures, donc je me suis dit «il a du se tirer». Et quand je suis descendue, il était toujours là : il m'a embrassée, il m'a dit qu'il était choqué de voir que j'étais blanche parce que le style de musique que je passais, les morceaux que je passais, il ne pensait pas qu'une fille blanche aurait pu avoir autant de connaissance de la musique, des années où les disques étaient sortis, qui les avait produits, qui c'est qui jouait dedans, etc, etc. Il m'a embrassée et m'a demandé où est-ce que j'avais trouvé le premier des deux morceaux à lui que j'avais passé. Un c'était "Cry Tough", que j'adore d'ailleurs, et l'autre c'était "Mouth A Massy", qu'Alton avait enregistré avec John Holt et il m'a dit «ça fait tellement longtemps que j'ai écouté ce disque que je ne savais même plus que je l'avais enregistré» mais il a adoré et il a fallu que je le lui mette sur une cassette vu qu'il a voulu immédiatement le ramener à la maison ; tous les bons artistes Reggae, ils n'ont jamais aucun ou vraiment pas beaucoup de leurs enregistrements, ils n'ont pas beaucoup de ce qu'ils Alton Ellis, Toulouse, juin 2007ont fait dans le passé, ni même des extraits de journaux ou quoi que ce soit, ils gardent pas tout ça, c'est de l'histoire mais ils la gardent pas et donc voila, c'était vraiment un concours de circonstances. Par la suite, ça a été Alton à 100%, c'est lui qui m'a encouragée dans le métier, il m'a encouragée à quitter la radio et m'a finalement demandé de m'occuper de lui, de m'occuper d'Alton pendant au moins cinq ans. Et je me suis donc occupée d'Alton pendant 5 ans et seulement de lui. J'ai appris le métier puis il m'a dit «quand tu seras prête, je t'aiderai aussi à faire ton chemin dans le métier» et c'est ce qu'il a fait. Quand il a pensé que j'étais prête pour travailler aussi avec d'autres artistes, il m'a branchée sur beaucoup d'autres comme Dennis Al Capone, Ken Boothe, comme... Enfin, beaucoup beaucoup d'artistes ont été emmené chez moi par Alton. Comme il disait «voilà l'agence qui s'occupe de moi», je suis devenue son manager. Autant te dire que les gens lui faisaient confiance. Et je me suis aussi retrouvée avec beaucoup d'autres qui me téléphonaient pour me demander si je voulais travailler avec eux, si je voulais les représenter pour l'Europe et c'est comme ça que tout a commencé. C'est à Alton que je dois tout. C'est sa vision de moi, de ce que j'aurais pu faire dans le métier. Il m'a encouragée, il m'a aidée, il m'a appris beaucoup et j'apprendrais d'avantage s'il était encore parmi nous et malheureusement il me manque comme l'air que je respire, je n'arrive pas à m'y faire qu'il ne soit plus avec nous et comme je l'ai dit, je lui dois tout, et je ne pourrais jamais nier ça [Alton Ellis est décédé le 11 octobre 2008, ndr].



Es-tu déjà allée en Jamaïque ? Y'a-t-il encore de l'intérêt là-bas pour les artistes Ska/Rocksteady/Early-Reggae ? Comment ces artistes sont-ils vus là-bas ?


Alors oui je suis allée en Jamaïque plusieurs fois. Malheureusement, la dernière fois, c'était en novembre [2008, ndr, l'itw datant de 2009] quand on a enterré Alton et ça n'a pas vraiment été des vacances. J'y étais avec mes enfants. Ils ont connu Alton plus ou moins toute leur vie, mon fils avait huit ans quand j'ai rencontré Alton, ma fille n'était pas encore née et là maintenant elle a 20 ans. Alton, c'était un oncle, c'était un des artistes, avec Derrick Morgan, avec qui j'étais le plus proche, qui venait chez moi, avait les clés de chez moi, qui pouvait venir quand il était un peu fatigué et qu'il voulait quitter sa maison et ne pas avoir le téléphone qui sonne etc. Quand il voulait se cacher, il pouvait venir chez moi à n'importe quelle heure, n'importe quoi il pouvait faire. Ca a été et c'est toujours l'équivalent de dieu pour moi, cet homme a tellement compté dans ma vie que je ne peux pas m'empêcher d'en parler.


Je dois dire que oui, il y a des promoteurs qui sont centrés sur les vieux artistes de temps en temps. Derrick Morgan, Alton Ellis, à chaque fois qu'ils étaient en Jamaïque, ils travaillaient tout le temps. Mais la plupart des jeunes là-bas écoutent maintenant du Dancehall. Malheureusement, car je ne trouve pas que le Dancehall ait beaucoup à voir avec le Reggae ni question rythmique, ni question message car le message Reggae est un message positif d'amour et de tolérance. On s'en fout que les gens soient noirs, blancs, avec des petits pois noirs ou rouge, on s'en fout. On se fout de tout du moment que ce sont des personnes pas violentes, tolérantes, etc, et ce n'est pas du tout le cas de la musique Dancehall qui selon moi incite seulement à la violence. Rien qu'écouter ces rythmiques, ça te fait sortir du dancehall complètement saoulée ! Il faut dire que la Ken Booth & Bob Andy, juin 2009Jamaïque a tendance maintenant à changer un petit peu sur le Dancehall. N'empêche que quand je bouge en Jamaïque avec des artistes comme Ken Boothe ou alors Alton à l'époque, et bien les gens les regardent comme des gens vraiment très importants. Ce n'est pas pour rien que le gouvernement jamaïcain les a décorés de l'Order Of Distinction pour les distinguer dans ce qu'ils ont fait. Le Reggae a ouvert les portes du tourisme donc c'est un fait que ces artistes sont encore vus comme des grands artistes qui ont quand même fait l'histoire de la musique. Mais quand il s'agit d'écouter des disques, ils écoutent plutôt du Dancehall bien que j'ai l'impression que ça commence un petit peu à changer, on revient vers le style plus classique. Et je dis ça parce que le fils d'Alton, Christopher, qui chante le catalogue de son père, est quand même très très bien accueilli, que ce soit en Jamaïque ou en Europe où il a fait beaucoup de choses. D'ailleurs, je crois Henrique, que tu l'as vu à Bordeaux [en effet, en mai 2009 au festival de l'asso Guns Of La Garonne pour les 40 ans du Spirit Of 69, et même avant ça vers 2007 au Festival de Marne, en compagnie de son père, ndr]. On est prêts à revenir vers ce style un peu plus mélodique et avec un peu plus de messages positifs hein !



Dans quel pays européen la scène Reggae te semble-t-elle la plus vitale, dynamique ? Est-elle, en général, portée par de petites organisations comme des associations, ou bien par des entreprises de spectacle ?


Alors les pays européens où la scène Reggae est la plus dynamique, c'est surtout l'Allemagne où y a un grand mouvement Ska, et la France. Je dois dire que ce sont les deux pays forts comme marchés, que ce soit pour les shows ou l'achat/vente de disque. L'Espagne est pas trop mal, mais l'Allemagne et la France sont les principaux.


Mais franchement, la musique Reggae n'a pas été prise en grande considération par les labels. Peut être pour plusieurs raisons. L'une, c'est que les grands labels ont envie de s'occuper de musique avec des gens qui sont soit au début de leur carrière, des artistes qui se laissent faire par envie d'être connus et qui acceptent donc de faire beaucoup de shows pour rien, ils acceptent d'être peu payés, de faire beaucoup de travail pour pas grand-chose jusqu'à être vraiment connus du grand public. Et ça, les jamaïcains n'ont pas du tout cette attitude. Si par contre un grand label prend des gros artistes, est prêt à faire toutes les démarches pour des contrats, des shows, toutes les tractations, ils aiment le faire avec des gens professionnels. Malheureusement, je dois dire que beaucoup d'artistes jamaïcains ont été et sont toujours gérés par le frère, la sœur, le beau-frère, la belle-sœur, la grand-mère, le cousin, qui ne savent rien du tout du business. Ce qui se passe, c'est que les grands labels, qui n'ont pas de temps à perdre, ne peuvent pas expliquer toutes les situations et donc ils se fatiguent d'avoir à faire à des gens très peu professionnels. Ils en ont laissé tomber beaucoup parce que non seulement ils ne sont pas pro dans les arrangements pour ce qui est des voyages, shows, etc… Mais en plus, certains artistes ne le sont pas au point qu'après avoir reçu des avances, des acomptes, ils ne montent pas dans l'avion, ils font des caprices. Je ne donne pas de noms, mais tout le monde sait… Et ce sont des artistes avec qui j'ai d'ailleurs jamais Gregory Isaacs, Trish & Max Romeotravaillé ou très peu à cause de ça. Ils ont peut-être un grand nom, attirent beaucoup de monde, mais il faut d'abord qu'ils arrivent sur le lieu du show, et franchement j'ai pas de temps à perdre et je n'aime pas que les producteurs et les promoteurs avec qui je travaille se retrouvent à perdre de l'argent à cause des artistes que moi je gère et donc ces gens-là je laisse carrément tomber mais c'est à cause de ça que la scène Reggae est maintenant dans cet état. Parce que finalement on arrive pas à comprendre pourquoi après Bob Marley, une compagnie comme Island Records n'a jamais plus vraiment pris en charge d'autres artistes bien qu'ils aient signé Owen Gray ou qu'ils avaient à un moment Dennis Brown… Mais finalement, c'était à peu près la même chose qu'avec des gens comme Bunny Wailers qui s'il avait pas envie, il ne prenait pas l'avion et la tournée tombait à l'eau… Ben, les gens ils se passent de ce problème, tu vois, et ce qui fait qu'après avoir eu tant d'histoires, même aussi avec Peter Tosh qui n'était pas facile, je pense qu'Island, ils se sont dit «on a quand même fait du pognon avec Bob, on a la possibilité encore de gagner sur le nom à cause de la marchandise etc, etc» puis ils ont laissé tomber la musique Reggae… Vraiment, y a des jours, je me demande ce que je fais dans ce milieu, avec des gens très peu professionnels… Finalement ce n'est pas bien, on aurait pu aller beaucoup plus loin ! Donc c'est désormais les petites organisations, les associations culturelles et merci à eux parce que je sais que souvent ils arrivent pas vraiment à couvrir le budget qu'on demande et je sais qu'ils font des efforts mais c'est fait avec grand amour. Ces petites entreprises, on est très reconnaissant et on est bien contents qu'ils s'occupent de la musique Reggae parce que sinon, en dehors d'un ou deux grand shows dans l'année que l'on peut faire ici à Londres et quelques festival l'été, le restant du temps moi je serais au chômage et puis aussi mes artistes bien sûr.



Comment expliques-tu le fait que la musique jamaïcaine des années 60 ait regagné du galon ces dernières années ? Est-ce le fruit de la disponibilité des artistes eux-même, ou bien est-ce ce nouvel intérêt qui pousse les artistes à reprendre la route ? Ou l'industrie du disque a-t-elle joué un rôle majeur, finalement, dans tout ça ?


Alors c'est toujours beaucoup de questions à la fois, hein ! Dans l'ordre : la musique des années 60 a regagné du galon selon moi parce que les gens ils en ont marre d'écouter un ordinateur qui joue de la musique et pis des gens qui crient là-dessus et que l'on comprend rien à ce qu'il s'y dit même quand on comprend comme moi très bien le patois. Même en Jamaïque, il y a des gens qui me disent qu'«on comprend rien à ce que ces gens sont entrain de crier !». Ils savent même pas eux même de quoi ils sont en train de parler. Ou alors c'est parce que le public qui se rapprochait de le musique Reggae à cause du Dancehall parce qu'on passait que ça à la radio, peut-être ils se sont aperçus qu'il y avait autre chose et ils se sont bougés pour aller chercher des disques plus anciens et ont trouvé que c'était meilleur. Et les organisateurs y ont peut-être vu l'intérêt et ils ont commencé à rebooker les anciens Pioneers & ASPO, Bordeaux, mai 2010artistes. Par contre du côté des artistes, si un artiste est un véritable artiste, il aura toujours envie de travailler. C'est pas qu'ils se sont arrêtés de travailler parce que ils ont voulu, c'est parce qu'à un moment, il y avait pas grand-chose. Mais il faut dire aussi qu'étant donné que plusieurs n'ont jamais eu leur travail en ordre, n'ont jamais reçu de royalties, ils ont été obligés de se remettre sur la route par besoin d'argent. Même si leurs disques ont bien vendu, ils n'ont jamais reçu l'argent et je m'occupe donc aussi de la situation légale d'Alton et même s'il est pas là, je suis toujours sa manager, le contrat ne sera jamais cassé, il sera toujours valable, je m'occupe quand même de ses affaires légales, tout autant de son catalogue que des royalties qui vont à sa famille. Je m'occupe aussi des licences si quelqu'un nous demande de prendre un morceau pour le mettre dans une compilation et c'est pareil pour les autres artistes. C'était le deal légal passé avec les deux avocats que j'ai engagés et on a déjà réussi à récupérer de l'argent pour Alton, juste avant qu'il meure. Ca concernait les royalties de "I'm Still In Love". Y a beaucoup d'autres artistes qui se sont rapprochés de moi pour que je m'occupe de leurs questions légales parce qu'ils ne reçoivent rien du tout, et ça grâce au succès qu'on a eu, et heureusement, avec la situation d'Alton. C'est arrivé trop tard puisque deux mois après, il est mort ; ses enfants auront ce qui lui était dû et qu'il a jamais touché. Les artistes ont toujours été disponibles, c'est que souvent, il y avait non seulement l'envie d'être sur la scène mais aussi le besoin économique. Et l'industrie du disque n'a pas vraiment joué un rôle. Les disques, ca se vend presque plus donc beaucoup de groupes ont été obligés de reprendre la route, de se reformer, etc. L'esprit Reggae, la musique, a toujours fait son chemin sans avoir vraiment de promotion de la part des industriels du disque et c'est ce qui nous fait voir la force de la Reggae music parce que sans être vraiment promue nulle part entant que grand style, elle a quand même un pied dans tous les marchés, sur tous les continents, dans tous les pays.



Qu'est ce qui t'a le plus étonnée à travers les différents pays que tu as traversé par rapport à cette scène jamaïcaine ? Y'a-t-il eu des aspects de cette culture que tu n'as découvert qu'une fois sur la route ?


Euh pffffffffffffff, y a presque rien qui m'a étonné dans les différents pays. Quand on bouge avec des artistes, on bouge pour des shows, dans n'importe quel pays, on arrive quand même à se retrouver plus ou moins dans un milieu rasta ou philosophie rasta, un tempérament qui peut être différent du caractère du pays où on est. Mais moi soit Allemagne, soit en Suède, à Los Angeles, je pourrais être n'importe où dans le monde parce que finalement l'attitude des gens qui s'occupent où qui circulent dans le milieu Reggae c'est plus ou moins le même donc je n'ai pas trouvé de choses qui m'ont vraiment étonné. La seule chose qui m'a étonné de temps en temps, c'est que des gens qui commencent peut être à faire des shows, ils ne connaissent pas à fond les artistes et ne savent pas que ces derniers sont très difficiles pour ce qui est de la bouffe : ils s'attendent à trouver la bouffe jamaïcaine partout et comme c'est pas toujours le cas, des fois sur la route ils ne sont pas bien nourris. Par contre, il y a bien des aspects de la culture jamaïcaine que j'ai découverts sur la route, que j'ai découverts parce que c'est sur la route que je commençais à mieux connaitre les artistes, les musiciens des groupes, des bandes On tour with Derrick Morganjamaïcaines, anglaises mais jamaïcaines. Par exemple, j'ai fait le management de Max Romeo pendant 6 ans donc si on se retrouve 24h sur 24h avec le même groupe, le même artiste, ben on commence à se connaitre, donc c'est comme ça que j'ai connu des habitudes jamaïcaines. Max Roméo est resté 1 mois et demi chez moi pendant qu'on était en tournée ; les vendredis et samedis, on partait de Londres et on allait en Europe donc il logeait chez moi et il a fait la cuisine chez moi. Mes enfants étaient ravis et moi aussi. Et je sais toujours pas s'il faisait la cuisine chez moi parce qu'il voyait que j'étais très occupée et qu'il a voulu me soulager de ça ou si c'est parce qu'il aimait pas ma cuisine ! J'ai fait la cuisine pendant 2 jours et puis c'est lui qui a commencé à la faire… J'étais bien heureuse, on a bien mangé ! J'ai donc aussi appris à faire des plats et puis voilà... J'ai donc fait connaissance avec la culture jamaïcaine surtout en étant si proche des artistes.



Les skinheads… Qu'en penses-tu ? Ton travail a-t-il été l'occasion d'en rencontrer beaucoup, ou avais-tu déjà des connections dans le milieu ?


Alors non, moi les skinheads je les ai connus surtout en travaillant avec Laurel Aitken et Derrick Morgan parce que c'est eux mes artistes plus Ska et Laurel est malheureusement décédé y a quelques années maintenant [juillet 2005, ndr]. C'est avec lui que j'ai connu les premiers skinheads, aussi avec Derrick. Et je dois dire qu'on a rencontré des skinheads partout. Dans tous les shows que l'on a fait avec Derrick, y a toujours eu des skinheads et je ne connaissais pas vraiment leur mentalité mais on est bien contents qu'ils se ramènent aux shows. Ils ont été des éléments très importants pour le succès des artistes en Europe puisqu'ils ont acheté les disques quand ils sortaient et je m'aperçois que ce ne sont pas toujours des anciens skinheads mais qu'il y en a des assez jeunes et je parle vraiment de jeunes de 18-19-20 ans qui viennent aux shows et ça ne peut que nous faire plaisir.



 Winston Francis @ Postdam Ska Festival, 1999Peux-tu nous faire partager ton meilleur souvenir lié à ces années sur la route avec l'un ou l'autre de ces artistes, ou quelques anecdotes marquantes ?


Alors la plupart de mes souvenirs sont surtout avec Alton Ellis parce que c'est avec lui que j'ai quand même tourné pendant 20 ans. Y a pas un autre artiste avec qui je suis restée aussi longtemps et des anecdotes, j'en ai… Faudrait peut-être qu'un jour j'écrive un bouquin, parce que j'en ai avec tout le monde. A chaque fois que l'on est sur la route, il nous en arrive des trucs bien rigolos, des fois pas trop rigolos mais sûrement des anecdotes. Bon je pourrais te dire, attends, attends… Alors un jour, j'avais Big Youth ici qui devait faire un show. C'était à un moment où comme il était de passage, d'autres artistes voulaient le rencontrer. Quand il a fallu l'amener à son show, j'ai pris ma voiture qui à l'époque était une Nissan à deux portes où il fallait bouger le siège pour entrer derrière. J'ai dit à Big Youth «bien, tiens comme on est avec Alton et avec Dennis Alcapone, autant qu'on appelle un taxi». Et là Big Youth me dit «non non y a pas de quoi, on va rentrer dans la tienne, t'inquiètes pas». Donc Big Youth était devant parce qu'il est grand et Dennis et Alton, ils étaient derrière et moi je conduisais. On arrivait en face du lieu où on faisait le show et le gars de la sécurité il vient vers moi et me dit «vous pouvez pas vous garer ici, vous pouvez même pas vous arrêter ici madame» et moi je dis «bah j'ai le chanteur pour le show», alors le gars de la sécurité, il regarde et bien sûr la sécurité, c'est un Noir, et là il reconnait Big Youth et dit «oh oui oui, tu peux te garer n'importe où au contraire. Tu veux laisser la voiture ici ? Je vais te la garer moi», et donc je descends de la voiture, Big Youth descend de la voiture et le gars il lui serre la main, tout content, et après y a Alcapone qui descend de la bagnole donc le gars il fait «quoi ?? Y'a Alcapone aussi alors !»...



Et là, la cassette est morte !!!! Alors comme j'étais forcément assez curieux de connaître la suite, bah, j'ai mailé Trish qui m'a donc envoyé la fin, viteuf... Ca sera notre conclusion, finalement très bien sentie au fond...


Alors quand il a vu tout ce beau monde, il a fini par me demander «t'as pas Bob Marley dans le coffre aussi?» avant d'appeler sa mère et des copains pour leur raconter ce qui se passait : et bien sûr, personne ne l'a cru... Et de rajouter : «Ma foi... J'ai jamais vu quelque chose de si grand sortir d'un truc si petit!»



Et vous, vous y croyez? En tous cas, merci d'avoir bien voulu partager ton expérience Trish, en espérant te recroiser en compagnie de tes artistes ici ou là, et plutôt deux fois qu'une!




Organisez donc vos soirées concerts en collaboration avec Trish et un large choix d'artistes jamaïcains depuis Roots Rockers Promotions !


Crédit photos : photos 1, 6 & 8 mises à disposition par Trish / Roots Rockers Promotions, © ; photo 9 ©P. F. ; photos 2, 3, 4, 5 et 7 ©S. H.

Retranscription : ce fut une longue bataille, mais... Merci, toi qui sais.



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